19 février 2019

Controverse autour du congédiement d’un lanceur d’alertes

Brèves d'actualité
Le texte qui suit ne présente pas la position de l’Institut. Il est le résumé d’articles récents parus dans les médias. L’objectif est de porter à l’attention des lecteurs des éléments récents de l’actualité en santé environnementale.

À la fin de janvier 2019, Radio-Canada a rapporté que monsieur Louis Robert, agronome spécialisé dans le domaine des grandes cultures, avait été congédié après 32 ans de services comme agronome au ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec (MAPAQ). On lui reprochait d’avoir diffusé aux médias des renseignements confidentiels et d’avoir contrevenu à ses obligations de discrétion. En effet, ce fonctionnaire spécialisé a dénoncé auprès d’un journaliste ce qu’il percevait être de l’ingérence du secteur privé dans la recherche publique sur les pesticides, et ce, après avoir été insatisfait de l’écoute de ses supérieurs sur le sujet. Plus précisément, le fonctionnaire avait partagé avec les médias des documents mettant en lumière l’intimidation dont faisait l’objet les chercheurs du Centre de recherche sur le grain (CEROM), ainsi que l’ingérence dans l’interprétation et la diffusion des résultats des recherches qui y sont effectuées. En effet, le secteur privé profiterait du fait que ses représentants dominent le conseil d’administration de cet organisme, même si plus des deux tiers de son financement sont d’origine publique (1). Par ailleurs, le président du conseil d’administration du CEROM est également le président des Producteurs de grains du Québec (2).

Outre le fait que les arguments évoqués pour justifier le congédiement et le contexte dans lequel il s’est déroulé soulèvent des questions, c’est le fait que le ministre de l’Agriculture, monsieur André Lamontagne, ait été personnellement impliqué dans le congédiement qui a suscité la controverse. Plus précisément, il a été informé du processus et de la décision qui avait été prise, mais il ne l’a pas prise lui-même (3). Du même souffle, le ministre s’est défendu d’avoir subi des pressions de la part des lobbys de l’industrie et a précisé que le gouvernement « ne prendrait [jamais] une mesure contre quelqu'un qui dénoncerait quelque chose qui va à l'encontre de la santé publique », reconnaissant au passage que l’ensemble du dossier était sensible, mais qu’il contenait aussi des éléments inconnus du public (4).

En marge de cette affaire, qui a suscité l’indignation dans plusieurs milieux, deux autres fonctionnaires ont été suspendus. L’Union des producteurs agricoles a envoyé une lettre au ministre Lamontagne pour lui faire part de son inquiétude. D’autres organismes ont également appuyé la démarche par la rédaction de leur propre lettre au ministre, notamment l’Association des conseillers en agroenvironnement du Québec, ainsi que de nombreux syndicats (5). Les dénonciations de monsieur Robert ont tout de même eu un impact au MAPAQ puisqu’au lendemain des révélations sur son congédiement, ce ministère a déclaré avoir mis en place pour l’année financière 2018-2019 des actions en matière d’amélioration de la gouvernance, de la transparence, de la neutralité scientifique, de la gestion des ressources humaines et de la gestion des projets au CEROM. Ce faisant, le MAPAQ a aussi reconnu l’existence « "des problématiques", des "répercussions sur le climat de travail" et des "retards importants" sur les dépôts de projets », ce qui suggère que les révélations de monsieur Robert avaient été jugées suffisamment sérieuses (2).

Cet épisode a mis en lumière les limites de la Loi facilitant la divulgation d’actes répréhensibles à l’égard des organismes publics, entrée en vigueur tout récemment (mai 2017) (4). Il a également rappelé les soupçons qui pèsent sur l’industrie des pesticides relativement à son influence sur le processus réglementaire lié aux pesticides (6). Finalement, on apprenait le 4 février dernier que le ministre Lamontagne avait demandé à la Protectrice du citoyen d’ouvrir une enquête sur le congédiement de monsieur Robert (5). Au moment d’écrire ces lignes, il n’y avait pas de nouveaux développements concernant une telle enquête, mais une pétition avait été présentée par les partis d’opposition à Québec demandant la réintégration de monsieur Robert, qui ne peut pour le moment donner publiquement sa version des faits pour des raisons juridiques (7).

Sources :

  1. Radio-Canada, 30 janvier 2019. Pesticides : un lanceur d'alerte congédié par le gouvernement du Québec. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1149614/pesticides-recherche-lanceur-alerte-agronome-congedie-gouvernement-quebec
  2. Radio-Canada, 31 janvier 2019. Ingérence du privé : le lanceur d'alerte congédié a forcé le MAPAQ à bouger. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1150236/cerom-mapaq-louis-robert-pesticide-recherche-enquete-revelation-congediement-agriculture
  3. La Presse, 30 janvier 2019. Agriculture: le ministre a autorisé le congédiement d'un lanceur d'alerte. https://www.lapresse.ca/actualites/politique/politique-quebecoise/201901/30/01-5212890-agriculture-le-ministre-a-autorise-le-congediement-dun-lanceur-dalerte.php
  4. Le Devoir, 31 janvier 2019. Le renvoi d’un lanceur d’alerte soulève l’indignation. https://www.ledevoir.com/politique/quebec/546687/le-ministre-de-l-agriculture-a-personnellement-autorise-le-congediement-d-un-lanceur-d-alerte
  5. Radio-Canada, 4 février 2019. Le ministre de l'Agriculture demande une enquête sur le congédiement du lanceur d'alerte. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1150855/lettre-syndicats-quebec-louis-robert-lanceur-alerte-ministere-agriculture-pesticides
  6. La Presse, 10 novembre 2018. Homologation du glyphosate: des études frauduleuses utilisées par Santé Canada. https://www.lapresse.ca/actualites/sante/201811/09/01-5203695-homologation-du-glyphosate-des-etudes-frauduleuses-utilisees-par-sante-canada.php
  7. Le Devoir, 15 février 2019. Une pétition en appui au lanceur d’alerte Louis Robert. https://www.ledevoir.com/politique/quebec/547836/une-petition-en-appui-au-lanceur-d-alerte-louis-robert