8 mai 2013

La communication, chaînon essentiel du processus de la décontamination en cas de menace CBRNE

Résumé scientifique
Le texte qui suit est le résumé d’une publication scientifique (ou d’une étude) n’ayant pas été réalisée par l’Institut national de santé publique du Québec. Cette analyse critique ne peut donc pas être considérée comme la position de l’Institut. Son objectif est de porter à l’attention des lecteurs des éléments récents de la littérature scientifique, et ce, sous un éclairage critique découlant de l’expertise des auteurs du résumé.
Auteur(s)
Leylâ Deger
M. Sc., conseillère scientifique, Institut national de santé publique du Québec
Lise Laplante
M.D., médecin-conseil, Institut national de santé publique du Québec
Rollande Allard
M.D., médecin-conseil, Institut national de santé publique du Québec

La dispersion délibérée ou accidentelle d'agents chimiques, biologiques, radiologiques, nucléaires ou explosifs (CBRNE) peut avoir des répercussions d'une gravité variable sur la santé humaine. Une telle situation nécessitera, à des fins de prévention ou d'atténuation des atteintes à la santé, la mise en œuvre des mesures nécessaires de protection de la santé de la population.

Une menace de contamination par un agent CBRNE – dont la nature peut être incertaine, invisible, indétectable et imprévisible – peut entraîner, sur le plan psychologique, toute une gamme de réactions émotionnelles chez les personnes touchées. L’anxiété, la peur (voire la terreur), l'irritabilité, la colère et l'agressivité comptent parmi les réactions possibles que peuvent éprouver les personnes touchées. En outre, les mesures de protection mises en œuvre pour protéger la santé publique peuvent causer autant, sinon plus, de peur et d'anxiété au sein de la population visée. Cependant, une communication efficace de la part des intervenants, notamment ceux de première ligne (tels que les pompiers et les policiers), peut en limiter les effets et faire en sorte que les personnes concernées comprennent mieux le risque et adoptent un comportement approprié face au risque auquel elles sont confrontées.

Parmi les interventions de santé publique envisagées, la décontamination est une mesure qui peut être privilégiée pour atténuer les conséquences sur la santé d'une exposition à un agent CBRNE chez les victimes contaminées ou suspectées de l'être. Les procédures de décontamination visent essentiellement à arrêter l'absorption du contaminant par la victime, à prévenir les risques d’une contamination secondaire des intervenants ainsi que d’éviter la dispersion du contaminant (ex. : dans les véhicules ambulanciers ou en milieu hospitalier).

À ce jour, les études qui se sont intéressées à la décontamination du public ont généralement porté sur des incidents à petite échelle. Récemment, une étude qualitative britannique (Carter et collaborateurs, 2012) visait à explorer un sujet jusqu’ici peu étudié : les perceptions et les expériences vécues par des victimes d'incidents majeurs impliquant des agents CBRNE en lien avec l'application de mesures de décontamination de masse (à grande échelle). L’usage de simulations pour recueillir leurs perceptions et leurs expériences des victimes fait aussi l’originalité de la présente étude. Les auteurs ont notamment cherché à examiner de quelle façon les actions entreprises par les intervenants de première ligne ont influencé la compréhension et le respect des consignes de décontamination par les personnes touchées.

La collecte des données a été réalisée au moyen d’un questionnaire de rétroaction soumis aux participants qui ont été soumis au processus de décontamination dans le cadre d’une simulation. Les participants recrutés ont pris part à au moins un des exercices suivants :

  1. victimes emprisonnées à la suite de l'effondrement d'un immeuble de plusieurs étages et gaz sarin (VX) libéré dans une aire de service d’autoroute;
  2. accident routier impliquant un camion qui transporte des matières dangereuses;
  3. explosion d'une «bombe sale» (dispositif de dispersion radiologique);
  4. à la suite d'un accident routier, contamination chimique accidentelle de 70 personnes, blessées ou non et
  5. explosion d'une «bombe sale» lors d'un important événement sportif.

Principaux résultats

Au total, 402 participants soumis au processus de décontamination dans le cadre d’une simulation, des hommes et des femmes âgés de 18 à 85 ans, ont rempli le questionnaire de rétroaction proposé. Cette étude a permis d’identifier des obstacles potentiels à la participation des victimes (simulées) et au bon déroulement du processus de décontamination de masse :

Communication déficiente

L’un des principaux constats de cette étude concerne la perception des victimes au regard de la communication avec les intervenants. D’après les données recueillies auprès des participants, les victimes ont besoin de recevoir des intervenants des directives plus claires et détaillées en ce qui concerne le processus de décontamination ainsi que d’être éclairées sur les raisons et les moyens de sa mise en œuvre.

Des participants ont aussi mentionné une difficulté à comprendre les consignes des intervenants d'urgence qui s'exprimaient au travers de leur équipement de protection personnelle. Certains ont également mentionné que ce climat d’incompréhension a parfois contribué à un stress accru, ainsi qu’à un sentiment de peur ou d’anxiété, et ce, malgré le contexte de simulation de l’exercice auquel ils participaient. De plus, des participants ont suggéré que cette difficulté de communication, en situation réelle, pourrait représenter un obstacle à leur participation au processus de décontamination.

Stratégie de «contrôle» au détriment de la communication

Des participants ont critiqué la réponse des intervenants dont les actions ont été perçues, en certains cas, autoritaires. En effet, certains ont perçu que les intervenants avaient privilégié une stratégie de «contrôle» pour maîtriser les victimes plutôt que de les renseigner sur le processus de décontamination en cours. Cette perception se traduit également par un sentiment de manque de respect des intervenants à l’égard des victimes.

Manque d’intimité

Les données recueillies ont mis en évidence qu’un manque d’intimité durant certaines phases de la décontamination était une préoccupation fréquente des victimes lors des exercices de simulation, notamment lors du déshabillage et du rinçage sur place, parfois à la vue du public. Ces situations susceptibles de porter atteinte à la vie privée ont contribué au stress de nombreuses victimes engagées dans le processus de décontamination lors des exercices de simulation.

Conclusion

L’étude de Carter et collaborateurs (2012) suggère quelques obstacles potentiels de la décontamination des victimes lors d’incidents CBRNE. Les auteurs reconnaissent que leurs observations se limitent à des simulations, et non des situations réelles. Cependant, leurs résultats vont dans le même sens que d’autres travaux menés sur le même sujet à partir d’incidents réels, de plus faible ampleur. Des simulations et des recherches complémentaires devraient être menées, notamment afin d’examiner plus en détail les perceptions et les expériences des personnes touchées dans le contexte de décontamination de masse et pour déterminer les stratégies de communication les plus efficaces à utiliser par les intervenants de première ligne en situation réelle.

Référence principale

Carter H., Drury J., Rubin J., Williams R. et R. Amlôt 2012. Public experiences of mass casualty decontamination. Biosecur Bioterror. 2012 Sep;10(3):280-9.