28 mai 2018

Marie Chagnon, agente de planification, de programmation et de recherche

Portrait
Auteur(s)
Patrick Poulin
Ph. D., conseiller scientifique spécialisé, Direction de la santé environnementale et de la toxicologie, Institut national de santé publique du Québec
Germain Lebel
M. A., M. Sc., conseiller scientifique, Direction de la santé environnementale et de la toxicologie

Nouvellement retraitée, Mme Marie Chagnon figure parmi les pionnières qui ont contribué à la mise en place et à la consolidation de la santé environnementale au Québec. Nous l’avons interviewée par téléphone afin qu’elle nous relate son parcours et sa carrière.

Marie, d’où viens-tu? 

En dépit de son amour inconditionnel pour la belle région de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine, Marie n’est pas originaire de la péninsule gaspésienne, même si elle y œuvre depuis les trente-cinq dernières années. Native d’Ottawa, elle a notamment terminé un baccalauréat en écologie et zoologie à l’Université d’Ottawa. Après l’obtention d’un premier emploi de naturaliste au parc de la Gatineau, Marie déménage à Gaspé pour y poursuivre son travail d’interprète de la nature, au non moins bucolique parc national de Forillon de 1980 à 1982. En 1982, Marie entreprend sa carrière de conseillère en santé publique en honorant divers contrats, notamment dans le créneau de la santé au travail. Enfin, ce n’est que trois années plus tard, soit en 1985, que Marie amorce ses premiers travaux en santé environnementale.

Quelles sont les particularités du travail dans une région « éloignée »?

Selon Marie, la spécificité du travail d’intervenant de santé publique dans une région dite « éloignée » est de composer avec une équipe de taille plutôt modeste :

En l’absence d’effectif spécialisé, les intervenants de santé publique devaient et doivent encore développer des aptitudes et des compétences générales afin de répondre efficacement aux diverses demandes en provenance de la population et des autorités locales. On touche à un peu de tout. On travaille beaucoup en collaboration. Ceci rend le travail extrêmement stimulant.

Œuvrer dans une région « ressource » exige également d’en connaître sa géographie et sa population :

C’est une région côtière reconnue pour ses contrastes et ses environnements de transition où cohabitent les milieux marins et terrestres. C’est une vaste région où les repères géographiques et la géomorphologie unique ont une grande influence sur ses occupants. Bien que la population établie soit vieillissante et qu’on y observe un certain déclin démographique, de plus en plus de jeunes reviennent dans leur région natale après avoir complété des études ou occupé un emploi dans les grands centres.

En ce qui concerne les grands enjeux environnementaux de la région, Marie souligne que la région est particulièrement vulnérable à l’érosion côtière et aux événements climatiques extrêmes. Puisque le réseau routier est constitué principalement d’une route localisée en bord de mer, les enjeux de transport et d’approvisionnement y sont prioritaires. La gestion des risques associés à l’exploitation des ressources naturelles, à l’eau potable et à la présence relativement élevée de radon sur le territoire a également généré de nombreuses requêtes de la population et des partenaires.

Et si on parlait de tes principales réalisations? 

Au cours de ses années de travail, la plus grande source de motivation de Marie fut l’indéfectible soutien des directeurs de santé publique de sa région et de ses collègues. De plus, elle a été à même de constater que ses travaux ont fait une différence pour la population régionale. La participation à divers comités provinciaux (p. ex. le Comité de santé environnementale [devenu la Table de concertation nationale en santé environnementale], le Comité permanent sur l’eau potable) fut pour elle une véritable bouée de sauvetage. Les fréquentes interactions avec les membres de ces comités lui ont permis de garder un contact étroit avec les autres régions, de se maintenir informée des enjeux émergents et des nouvelles pratiques.

Son plus bel accomplissement fut de faire valoir les spécificités et les enjeux propres à la région de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine dans les échanges avec les instances provinciales et de défendre les intérêts de sa population. Elle est d’ailleurs très fière d’avoir participé à l’implantation du premier parc éolien du Québec, ainsi qu’aux activités de suivi et de décontamination des sols dans la municipalité de Murdochville (voir encadré). Du même élan, elle admet que davantage de temps aurait pu être investi dans les dossiers de la gestion de la qualité de l’air intérieur et de l’insalubrité, notamment pour s’assurer que les villes et les municipalités régionales de comté (MRC) épaulent de façon cohérente et concertée les citoyens dans leurs besoins. Marie aurait également souhaité investir davantage de temps pour l’accompagnement et la formation de son successeur, M. Louis-Charles Rainville, dans l’appropriation de ses nouvelles tâches et de ses nouveaux mandats.

Les sols à Murdochville

De 1989 à 2008, les autorités de santé publique ont travaillé en étroite collaboration avec le CLSC local afin de s’assurer que les activités associées à l’industrie minière présente dans cette ville n’aient pas d’impact sur le niveau d’exposition au plomb de la population, et en particulier des jeunes enfants. Les résultats de l’étude de la concentration de plomb sanguin lors de travaux de décontamination et de restauration des sols en 1990 ont donné lieu à la mise sur pied d’un programme de surveillance de la plombémie chez les femmes enceintes et les enfants de trois ans. Ce programme s’est poursuivi jusqu’à l’arrêt des activités de la fonderie en 2002. En 1993, le département de santé communautaire de l’époque instaurait un comité consultatif multipartite ayant pour but l’échange d’information en lien avec les activités de la fonderie. Aujourd’hui, on l’appellerait sûrement « comité de suivi ».

Pour plus d’information, consulter l’article de Radio-Canada : Terrains contaminés : Murdochville hantée par son passé.

Marie rapporte que la gestion de certains dossiers d’envergure a constitué de véritables défis. Parmi ceux-ci, elle fait notamment mention du dossier du fluor dans l’eau potable de puits privés à Maria (voir encadré), les sols contaminés au plomb à Murdochville, le flocage d’amiante à la polyvalente des Îles-de-la-Madeleine et les études d’impact sur l’implantation du parc éolien précédemment mentionné.

Présence naturelle de fluorures dans l'eau à Maria

En 1989, à la suite de la découverte d’un cas de fluorose osseuse chez un résident de la municipalité de Maria, dans la Baie des Chaleurs, le département de santé communautaire de Gaspé (aujourd’hui la direction de santé publique) a travaillé en collaboration avec les hydrogéologues et techniciens du ministère de l’Environnement afin de déterminer la source de la contamination et les secteurs à risque. Des prélèvements d’eau ont été effectués dans plus de 200 puits résidentiels dans un secteur jugé à risque en raison des formations géologiques. La campagne d’échantillonnage a permis de déterminer que les puits d’une profondeur de plus de 30 mètres étaient plus à risque. Des recommandations ont par la suite été faites aux résidents, à la municipalité ainsi qu’aux médecins et dentistes de la région. 

Marie constate de nombreux changements dans la façon d’aborder de tels enjeux et de traiter les requêtes associées. Elle remarque que davantage d’information est disponible, que celle-ci circule de façon beaucoup plus fluide que dans les années 80 et 90, et que les citoyens sont mieux informés qu’auparavant. Les pratiques de gestion sont davantage convenues, les outils de travail sont mieux structurés et les professionnels peuvent maintenant bénéficier de nouvelles technologies qui facilitent leur travail. « De nos jours, les intervenants s'intéressent autant aux enjeux de prévention que de protection », précise-t-elle. Les interactions avec les partenaires concernés sont aussi mieux organisées qu’auparavant, bien que la collaboration avec ses homologues ait toujours été exemplaire au cours de ses années de pratique.

Et maintenant, la vie après la santé publique…

Lorsque Marie est interrogée au regard de ses souhaits pour l’avenir de la profession, elle dit espérer que les professionnels et médecins du réseau expriment toujours autant d’intérêt et de passion pour leur métier. Elle souhaite également que davantage de ressources soient consacrées à la prévention et la protection de la santé publique et que ses collègues puissent pallier les effets négatifs de la nouvelle réorganisation des ressources régionales. Elle souhaite qu’ils obtiennent davantage de marge de manœuvre. De plus, elle souligne l’importance de maintenir les contacts directs entre collègues (de ne pas hésiter à téléphoner, au lieu du sempiternel courriel) et de créer de nouveaux liens pour soutenir les services publics régionaux.

Enfin, en ce début de retraite amplement méritée, Marie rapporte qu’elle souhaite continuer à relever de nouveaux défis intellectuels, à garder la forme, à redécouvrir les joies de l’enfance auprès de sa petite-fille, et à profiter de la nature et des activités de plein air qu’offre la région.

Crédit photo : Marie Chagnon.

Sur une note plus personnelle, Marie tient à transmettre ses salutations les plus distinguées à tous ses précieux collègues qu’elle a croisés tout au long de sa carrière!