18 mars 2016

Développement d’un indice d’adaptation en lien avec les impacts sanitaires néfastes autorapportés lors de conditions très chaudes et humides en été

Résumé scientifique
Le texte qui suit est le résumé d’une publication scientifique (ou d’une étude) n’ayant pas été réalisée par l’Institut national de santé publique du Québec. Cette analyse critique ne peut donc pas être considérée comme la position de l’Institut. Son objectif est de porter à l’attention des lecteurs des éléments récents de la littérature scientifique, et ce, sous un éclairage critique découlant de l’expertise des auteurs du résumé.
Auteur(s)
Diane Bélanger
Ph. D., Institut national de la recherche scientifique et Centre de recherche du Centre hospitalier universitaire de Québec
Belkacem Abdous
Ph. D., Centre de recherche du Centre hospitalier universitaire de Québec et Université Laval
Pierre Gosselin
M.D., MPH, Institut national de santé publique du Québec, Institut national de la recherche scientifique
Pierre Valois
Ph. D., Université Laval

Contexte

En raison des changements climatiques et de leurs conséquences sur la santé des populations, des systèmes d’alerte et de surveillance ont été développés à travers le monde1-2, notamment au Québec3. Très utiles à la santé publique, les données de ces systèmes demeurent toutefois incomplètes, car elles ne tiennent pas compte de l’adaptation. Il faut dire que la nature de l’adaptation est multifactorielle et s’avère complexe à mesurer. La création d’un indice composite de comportements liés à l’adaptation s’avère donc tout indiquée ici.

Le nombre d’indices composites augmente d’année en année4. Leur popularité tient au fait qu’ils illustrent des questions complexes et parfois difficiles à cerner, tout en réduisant la taille d’un ensemble d’indicateurs sans perdre l’information de base sous-jacente5. Leurs valeurs agrégées et pondérées, définies pour chaque unité de population étudiée, facilitent aussi l’interprétation des résultats par rapport à une batterie d’indicateurs distincts5-6.

Le présent article présente les composantes d’un indice d’adaptation lorsqu’il fait très chaud et humide en été, aux fins de surveillance de santé publique et de priorisation des interventions en protection et promotion de la santé. Il a été créé à partir des données d’une enquête menée dans les aires de diffusion très défavorisées (AD-TD) des neuf villes du Québec comptant au moins 100 000 habitants, en 2011.

Présentation de l’étude

Cette étude est une enquête transversale par échantillon stratifié avec une procédure de sélection en deux étapes7 soit : (1) la détermination des nombres d’AD-TD et de ménages à sonder; (2) l’identification aléatoire des ménages, puis des répondants. Au total, 3 485 personnes ont été interviewées à leur domicile, à l’aide d’un questionnaire préalablement développé (essentiellement sur la base de questionnaires déjà validés) et testé4.

Création de l’indice d’adaptation lorsqu’il fait très chaud et humide en été

L’indice d’adaptation lorsqu’il fait très chaud et humide en été (ci-après nommé indice d’adaptation ou indice) a été créé à l’aide d’une analyse de correspondances multiples (ACM). Utilisée avec succès pour la construction d’indices composites9, l’ACM est une procédure de réduction des données pour les variables catégorielles (nominales ou ordinales), comme l’analyse en composantes principales (ACP) en est une pour les variables quantitatives10.

Ainsi, 17 variables comportementales écoénergétiques et faciles à utiliser (tableau 1) ont été considérées comme composantes possibles de l’indice. Afin de synthétiser les résultats de l’ACM et de simplifier leur interprétation, ces variables ont été codifiées sous une forme binaire avec une modalité préventive (« oui » ou « occasionnellement/souvent/toujours ») et une modalité non préventive (« non » ou « jamais/rarement ») d’impacts sanitaires néfastes à la chaleur. Le taux de réponse par variable était d’au moins 97 %. Pour plus de détails sur la création de l’indice, on pourra consulter le rapport12 ou l’article scientifique publiés13.

Variables passives

En plus des 17 variables actives précédentes, neuf variables supplémentaires, appelées passives ont été prises en considération. Ces variables (tableau 1) ne contribuent pas à la construction de l’indice, mais elles servent à son interprétation et aux comparaisons10. Elles incluent notamment l’accès à la climatisation à domicile (variable binaire), qui a été préféré à son utilisation, car la plupart des répondants pourvus d’un climatiseur le faisaient fonctionner jour et nuit lors de conditions estivales très chaudes et humides (r >. 9).

Validité critériée

La fonction essentielle de la validité critériée est de définir la relation entre les résultats au test (ici, le score à l’indice d’adaptation) et un autre critère considéré comme étant un important indicateur du construit à l’étude14. Dans cet article, ce critère correspond aux impacts sanitaires néfastes autorapportés lorsqu’il fait très chaud et humide en été (ci-après impacts sanitaires), soit l’état de santé perçu appliqué à un contexte de chaleur. La validité critériée de l’indice d’adaptation a été éprouvée en le corrélant à la mesure d’impacts sanitaires à l’aide d’une analyse logistique polytomique de type nominal15. Les impacts sanitaires ont aussi été projetés dans l’espace ACM, comme variable passive.

Tableau 1 - Liste des variables

Variables actives considérées dans l’ACM
Pour se rafraîchir ou se protéger du soleil :
     Consommation d’eau plate
     Consommation d’aliments glacés
     Prise de douches ou de bains plus souvent qu’à l’habitude
     Épongeage ou vaporisation du visage ou du cou avec de l’eau fraîche
     Utilisation du balcon en soiréeA
     Utilisation de la cour en soiréeA
     Baignade dans une piscine publique, un lac ou un cours d’eau
     Fréquentation de lieux climatisés autres que le logement
     Port d’un couvre-tête lors des sorties si le soleil tape
     Adoption de comportements préventifs en fonction des informations météorologiques transmises dans les médias ou sur l’Internet
Pour conserver la fraîcheur du logement :
     Fermeture de tentures ou storesA
Pour réduire les sources de chaleur au logement :
     Fermeture de l’ordinateur (si non utilisé)A
     Moindre utilisation de la sécheuseA
     Moindre utilisation du four de la cuisinière 
Variables actives non considérées dans l’ACM
     Utilisation de protections contre le soleil sur le balcon (ex. : parasol)
     Application de crème solaire et port d’une boisson rafraîchissante lors d’activités extérieures de 11 h à 16 h, malgré les fortes chaleurs
     Ouverture des fenêtres en soirée ou la nuit pour rafraîchir le logement
Variables passives
     Vivre dans une habitation à loyer modique (en raison des caractéristiques de leurs clientèles)
     Vivre dans une ville jugée très chaude selon la température moyenne observée au cours des 30 dernières annéesB
     Genre
     Groupe d’âge
     Genre x groupe d’âge
     Immigrant récent
     Type de ménage
     Climatisation à domicile
     Impacts sanitaires à la chaleurC

A  Les répondants qui n’en ont pas ont été regroupés sous la modalité non préventive, car la motivation sous-jacente pour l’adoption (ou la non-adoption) d’une adaptation n’était pas importante dans l’étude.
B  Classification effectuée selon Chebana F., Martel B., Gosselin P., Giroux J.X. et Ouarda, T.B.M.J. (2013). A general and flexible methodology to define thresholds for heat health watch and warning systems, applied to the province of Quebec (Canada). Int. J. Biometeorol., 57 (4) : 631-644. DOI : 10.1007/s00484-012-0590-2.
C  Le groupe à risque est constitué de personnes disant ressentir (moyennement ou beaucoup) des effets néfastes de la chaleur sur leur santé physique ou mentale lorsqu’il fait très chaud et humide en été (vs peu ou pas).

Principaux résultats

Les 17 variables comportementales utilisées a priori dans l’ACM (tableau 1) expliquaient 64 % de l’inertie totale sur la dimension 1 (dimension 2 : 9 %). Trois de ces variables ont été exclues, car elles départageaient très peu l’adaptation selon l’indice (tableau 1), ce qui a permis, en plus, d’améliorer le critère de parcimonie.

Les 14 variables restantes expliquent 75 % de l’inertie totale sur la dimension 1 (dimension 2 : 5 %). La dimension 1 est donc la seule dimension conservée pour l’ACM. Aucune des 14 variables ne présente de modalités avec de très faibles fréquences. Aucune n’est fortement corrélée avec les autres composantes de l’indice (r ≤. 35).

Ces 14 variables actives dans l’ACM ont des modalités suffisamment éloignées l’une de l’autre pour suggérer qu’elles ont une bonne capacité discriminante sur la dimension 1; autrement dit, qu’il ne s’agit pas uniquement d’effets de projection. Toutes leurs modalités préventives (qui ont des coordonnées négatives) soutenant l’adaptation se situent sur le même côté des graphiques et toutes leurs modalités non préventives (coordonnées positives) associées à la non-adaptation y sont sur l’autre côté; le critère de cohérence ordinale (essentiel en ACM)6 est donc respecté.

Les coordonnées des 14 variables actives générées par l’ACM ont permis d’associer une valeur de l’indice à chaque répondant. Pour la dimension 1, ces valeurs s’étendent d’environ - 3 à + 3 et se distribuent de façon quasi normale. Ainsi, 16.6 % des répondants adoptent les comportements mesurés par l’indice (valeurs ≤ -1 ou adaptatif), 16.7 % les adoptent peu et même très peu (valeurs ≥ 1 ou non adaptatif), et 66,7 % se situent entre ces deux pôles (valeurs de -1 à 1).

Variables passives autres que les impacts sanitaires

Aucune des variables passives ne présente de modalités ou de catégories avec de très faibles fréquences. La projection de leurs coordonnées dans l’univers ACM montre principalement que l’adoption des adaptations mesurées par l’indice touche surtout les 18-44 ans (valeurs ≤ -2). Les 45 à 64 ans les adoptent plus ou moins (valeurs de -1 et 1), alors que leurs aînés les adoptent peu ou pas (valeurs ≥ 2). Lorsqu’on couple les genres aux groupes d’âge, il est aussi remarqué que les femmes de moins de 64 ans ont un score d’adaptation plus élevé que les hommes du même âge, surtout chez les 18-44 ans, mais qu’aucune différence notable n’est observée selon le genre chez leurs aînés.

Les familles sont le type de ménages qui cote le plus fort sur le plan de l’adaptation (valeurs ≤ -2); la valeur de l’indice dans ce groupe avoisine ce qui est observé chez les 18-44 ans. À l’opposé, les gens vivant seuls représentent le type de ménages qui cote le plus fort en matière de non-adaptation (valeurs d’un peu plus de 1); ils se situent à mi-chemin entre les 45-64 ans et leurs aînés. Entre ces deux extrêmes se retrouvent les ménages d’au moins 2 personnes sans enfants (entre -1 et 0), qui se comportent de façon plus mitigée, à l’instar des 45-64 ans.

Les autres variables passives influencent peu l’indice d’adaptation à la chaleur, incluant la climatisation à domicile dont les modalités non ajustées pour l’âge se situent au centre de l’axe 1 de l’ACM (donc ni adaptatif, selon l’indice, ni non adaptatif). Aucun profil de répondants ne se dégage de la projection des variables passives.

Application de l’indice d’adaptation aux impacts sanitaires.

Lorsque projetés dans l’univers ACM, les résultats montrent que les gens qui ressentent des effets néfastes de la chaleur sur leur santé lorsqu’il fait très chaud et humide en été adoptent un peu plus les comportements mesurés par l’indice d’adaptation que ceux qui en perçoivent peu ou pas, indépendamment des groupes d’âge. Considérée globalement, la prévalence d’impacts sanitaires est estimée à 57,8 % (IC : 53,5-62,1) dans le groupe le plus adaptatif selon l’indice, 46,3 % (IC : 44,1-48,4) dans celui qui l’est plus ou moins et 33,4 % (29,1-37,6) dans celui qui l’est le moins. Ces statistiques demeurent sensiblement du même ordre de grandeur lorsque stratifiées selon les groupes d’âge ou la climatisation à domicile.

Intérêt pour la santé publique 

Divers constats d’intérêt pour la santé publique ressortent des résultats présentés, notamment que :

  • L’indice développé dans l’étude rend compte du caractère multifactoriel de l’adaptation à la chaleur dans les quartiers très défavorisés des villes les plus populeuses du Québec en 2011. Il est constitué de 14 solutions écoénergétiques et faciles à utiliser pour se rafraîchir ou se protéger contre le soleil, à domicile ou dans d’autres lieux. Il explique 75 % de l’inertie totale grâce à une seule dimension. Suivre l’évolution de l’indice par l’entremise d’enquêtes actuelles et futures permettrait de poser un jalon supplémentaire à la surveillance de groupes très vulnérables d’impacts sanitaires à la chaleur, car, bien qu’incontournable, l’adaptation ne fait généralement pas encore partie des systèmes de surveillance. Cet indice permettrait aussi de mieux cibler les mesures de protection et les campagnes de promotion de la santé pour qu’elles soient adaptées aux sous-populations selon leurs caractéristiques propres.
  • Bien que l’air conditionné n’a pas été sélectionné comme variable active dans l’ACM et qu’elle apparaît faiblement associée à l’adaptation à la chaleur lorsque considérée comme variable passive, il est tout de même recommandé d’ajouter cet indicateur aux systèmes de surveillance des impacts sanitaires néfastes à la chaleur, car la climatisation est connue pour réduire les décès et la maladie dans ce contexte16.
  • L’âge est la variable passive projetée dans l’univers ACM qui départage le plus franchement les plus adaptatifs de ceux qui le sont le moins selon l’indice. Il est vraisemblable que les 18-44 ans, surtout ceux qui ont de jeunes enfants, soient plus pro-adaptation lors d’une canicule, alors que les gens de 65 ans et plus, le groupe le moins pro, préfère rester chez eux. D’un autre côté, seulement 5 des 14 adaptations mesurées dans l’indice nécessitaient de sortir dehors, dont 2 sur son balcon ou dans sa cour en soirée. Par ailleurs, les 9 autres adaptations pouvaient être appliquées par la majorité des répondants, peu importe leur âge. Conséquemment, ne pas être obligé de sortir ne peut être la seule hypothèse explicative des différences observées selon les groupes d’âge. D’autres recherches sont nécessaires à ce sujet afin de mieux étoffer les messages de santé publique.
  • Peu importe le groupe d’âge, les personnes qui ressentent les effets néfastes de la chaleur sont un peu plus proadaptation que celles qui s’en disent peu ou pas affectées. Ce résultat est rassurant, mais il demeure à être confirmé chez d’autres populations que celles qui résident dans les centres-villes des régions métropolitaines (d’où sont issus tous nos répondants), toujours plus vulnérables que les zones plus éloignées du centre, indépendamment de l’accès à la climatisation. Élargir l’éventail des indicateurs associés à la prévalence d’impacts sanitaires à d’autres catégories de variables, comme des indicateurs de l’état de santé préalable, serait aussi souhaitable.

Références

  1. World Health Organization and World Meteorological Organization (2012). Atlas of Health and Climate. Accessible at : http://www.who.int/globalchange/publications/atlas/report/en/. Consulted March 31, 2014. 
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