12 novembre 2020

S’adapter aux feux de forêt : le souhait des acteurs de santé publique de la Californie

Résumé scientifique
Le texte qui suit est le résumé d’une publication scientifique (ou d’une étude) n’ayant pas été réalisée par l’Institut national de santé publique du Québec. Ce document ne peut donc pas être considéré comme la position de l’Institut. Son objectif est de porter à l’attention des lecteurs des éléments récents de la littérature scientifique, et ce, sous un éclairage découlant de l’expertise des auteurs du résumé.
Auteur(s)
Emmanuelle Bouchard-Bastien
M. Env., conseillère scientifique, Direction de la santé environnementale et de la toxicologie, Institut national de santé publique du Québec

National Academies of Sciences, Engineering, and Medicine. Implications of the California wildfires for health, communities, and preparedness: Proceedings of a workshop. Washington, DC: The National Academies Press; 2020.

Mise en contexte

L’État de la Californie, sur la côte ouest des États-Unis, compose actuellement avec une augmentation de l’ampleur des feux de forêt sur son territoire. Depuis les années 2000, cet état a combattu huit des dix plus grands feux de son histoire, dont un particulièrement dévastateur en novembre 2018 (1). Baptisé « Camp fire », ce feu de forêt a provoqué la mort de 85 personnes et détruit plus de 18 000 infrastructures, dont la vaste majorité de la ville de Paradise, qui comptait à l’époque près de 27 000 habitants (1). Quelques mois après cette catastrophe, soit les 4 et 5 juin 2019, quatre instances formées d’experts de la santé publique – le Forum on Medical and Public Health Preparedness for Disasters and Emergencies; la Roundtable on Population Health Improvement; la Roundtable on the Promotion of Health Equity; et la Roundtable on Environmental Health Sciences, Research, and Medicine – ont organisé des ateliers à l’Université de Californie pour discuter des impacts communautaires et à la santé des feux de forêt, et réfléchir aux meilleures pratiques de réponse et de préparation. Les résultats de ces ateliers ont été publiés récemment sous la forme d’un rapport coordonné par la National Academies of Sciences, Engineering, and Medicine. Intitulé Implications of the California wildfires for health, communities, and preparedness : Proceedings of a workshop, ce rapport de 160 pages aborde les répercussions des feux de forêt et leur gestion à travers huit chapitres calqués sur le programme des ateliers. Plus particulièrement, il présente un portrait passé et actuel des feux de forêt en Californie, ainsi qu’une description des populations touchées et des principaux effets à la santé. Par la suite, les chapitres subséquents se penchent sur les mesures d’urgence et les actions de mitigation et de protection déployées. Au final, le document se termine par de grands constats, et le présent résumé fait plus spécifiquement état de cette matière à réflexion.

Constats et recommandations du rapport

Lors de la dernière session, neuf panélistes (Kenneth Kizer, Wayne Jonas, David Eisenman, Julie Baldwin, Colleen Ryan, Winston Wong, Michelle Bell, Octavio Martinez et Antonia Villarruel) issus du milieu universitaire et de la santé ont désigné les grands enjeux émergents des présentations et des ateliers. Tous semblaient s’entendre sur le fait que l’ampleur et la fréquence des feux de forêt en Californie devraient s’accroître avec les années, ce qui augmentera l’exposition de la population à ce sinistre, en plus de créer des impacts à long terme, voire intergénérationnels.

Feux de forêt et inégalités

diagnostic

Crédit photo : iStock

Le premier constat des panélistes touche les populations les plus vulnérables et les inégalités sociales existantes avant le feu. Faisant écho à la littérature scientifique portant sur les inégalités environnementales (2), les panélistes remarquent que les catastrophes, telles que les feux de forêt, mettent au jour les inégalités sociales existantes et affectent davantage les populations les plus vulnérables. Ainsi, les populations les plus affectées par les feux le sont déjà particulièrement par d’autres inégalités socio-environnementales, telles que l’exposition à la chaleur accablante ou aux pesticides. Ce constat rappelle que la vulnérabilité de la population touchée n’est pas homogène lors d’un sinistre. Pour illustrer ce fait, un panéliste donne l’exemple du Titanic, où les passagers de première classe ont eu de meilleures chances de survie que ceux de deuxième classe, et que ces derniers avaient également eu plus de chance de survie que les passagers de troisième classe. Il ajoute que la fumée des feux de forêt ne fait pas de discrimination, mais que la souffrance peut être plus grande chez les populations qui sont en bas de l’échelle socio-économique. Cette souffrance peut s’afficher dans l’accès aux logements, au support matériel, à l’information et aux services médicaux et psychosociaux. Un autre expert prend l’exemple d’un enfant défavorisé, qui aura plus de difficulté à avoir accès à un masque, à un endroit sûr et à un réseau social pour prendre soin de lui. Un dernier termine en soulignant que la mise au jour de ces inégalités peut devenir un levier pour réorganiser l’espace et mieux se préparer.

Impacts sur la santé

Concernant les impacts sur la santé associés aux feux de forêt, certains panélistes constatent qu’ils sont de plus en plus documentés, mais que des lacunes demeurent. Le travail en silo est également nommé comme étant un frein au développement des connaissances. Ainsi, les impacts relatifs à la fumée générée par les feux de forêt semblent évidents, mais la fumée s’infiltrant à l’intérieur des bâtiments s’avère généralement manquante dans les modèles d’évaluation. Des panélistes ajoutent que les effets découlant de la mauvaise planification des mesures d’urgence devraient être davantage pris en compte, tels que les jours d’école et de travail perdus, les admissions à l’hôpital et la mortalité. La continuité des soins de santé est également soulevée comme étant un point important, et ce, dans une perspective qui inclut l’ensemble des déterminants de la santé.

Réponse et rétablissement

Les inégalités sociales sont également présentes lors des mesures d’urgence et du rétablissement. Pour illustrer ce constat, un panéliste donne l’exemple de l’accès à un chirurgien spécialisé en brûlures; il n’y en aurait que 300 aux États-Unis, et ce sont les victimes les mieux nanties qui y ont accès. Afin d’éviter l’exacerbation des inégalités existantes, un expert pointe l’importance de prendre en compte l’ensemble des parties prenantes dans la réponse et le rétablissement. Pour ce faire, l’identification et la considération de toutes les populations vulnérables devraient transparaître dans les outils développés et les approches. Un autre panéliste recourt à l’exemple des nouveaux arrivants et des enfants pour démontrer l’importance de varier les approches et d’être inclusif dans la planification de la réponse. La contribution des organismes non gouvernementaux et des gens ayant l’expérience des feux de forêt dans le rétablissement est également soulignée. Il est finalement question de l’enjeu associé à l’accueil des services d’urgence et des autres acteurs prenant part à la réponse et au rétablissement dans les petites localités isolées. Cet aspect doit se retrouver systématiquement dans les plans de mesures d’urgence.

Vivre avec le feu

Le thème qui semble avoir le plus animé les panélistes est celui concernant la préparation et l’adaptation aux feux de forêt. Selon un des experts, le feu de forêt est un aléa différent, car, contrairement aux inondations ou aux tempêtes tropicales, il fait partie de l’écologie de la forêt. Cette particularité place les résidents des zones forestières dans un paradigme unique en prévision des prochains incendies, c’est-à-dire qu’ils doivent s’y accommoder au lieu de tenter de les contrôler. Ce paradigme amène les panélistes à discuter d’adaptation au lieu de prévention. Ainsi, un panéliste observe que plusieurs personnes savent comment réagir face à un feu de forêt et ne sont donc pas dans l’attente d’une aide extérieure. De ce fait, il serait important de leur donner le pouvoir de continuer à agir de la sorte. Ce panéliste signale que soutenir une communauté pour qu’elle développe des savoirs locaux qui lui permettent de prendre soin d’elle est payant à long terme. Valoriser les savoirs locaux peut prendre différentes formes. Par exemple, un panéliste mentionne les initiatives de cartographie des vulnérabilités en cours au pays, et ajoute que la résilience devrait également être cartographiée. Il pense aux savoirs traditionnels des feux et du territoire des autochtones, qui pourraient être valorisés pour accroître la résilience. Un autre expert fait remarquer que les communautés ont aussi à se partager des connaissances et des expériences qui peuvent aider à l’adaptation. Il réfère à celles qui ont déjà connu l’évacuation et le rétablissement. Au final, il souligne que le lieu dans lequel nous vivons peut nous apprendre comment nous adapter, et valoriser ces connaissances pourrait avoir le potentiel de devenir un modèle d’adaptation aux changements climatiques.

Besoins en recherche

Quelques panélistes ont ciblé plusieurs besoins en recherche. Par exemple, l'un deux souhaiterait davantage de recherche biomédicale concernant les mécaniques physiologiques de l’inhalation de fumée, puisqu’il reste des incertitudes à cet égard. La mesure de l’exposition à la fumée des feux de forêt et des autres contaminants est également nommée par un expert. Des études sont en particulier souhaitées au sujet de la réponse et du rétablissement. Un panéliste renchérit qu'il aimerait bénéficier d’un modèle pour évaluer la réponse aux catastrophes. Un autre souligne les lacunes actuelles en recherche à propos du processus de rétablissement communautaire, en spécifiant que faire de la recherche en contexte de catastrophe est difficile et que ces sujets ont été négligés dans le passé. Le manque de données en santé mentale ainsi que sur l’impact de l’inhalation de fumée chez les femmes enceintes est aussi mentionné. Finalement, un panéliste met l’accent sur les besoins de recherche en justice sociale et environnementale, en ajoutant que ces études vont au-delà de la réponse à la catastrophe, et qu’elles doivent plutôt être réalisées en amont, par la caractérisation du milieu et l’identification des personnes les plus vulnérables.

Une approche multidisciplinaire

Finalement, plusieurs panélistes ont louangé l’approche multidisciplinaire des ateliers, et souhaitent l’appliquer à la gestion des feux de forêt en Californie. Les intervenants de diverses disciplines et professions présentent lors des ateliers (médecins et professionnels de santé publique, spécialistes des mesures d’urgence, organisations communautaires, organismes gouvernementaux et chercheurs en catastrophes, en éthique et en changements climatiques) devraient être invités à collaborer à la gestion des feux et du rétablissement. De ce fait, un panéliste dénonce l’approche en silo et propose la présence de leaders ou d’experts capables d’inclure les différentes expertises dans la gestion. Un autre panéliste va encore plus loin en spécifiant que les solutions vont demander de revoir les façons de faire. Il cite à ce propos la planification collaborative, le repérage, la valorisation et l’intégration des savoirs locaux, ainsi que la mobilisation des collectivités.

Conclusion

Les derniers mots de l’atelier ont été prononcés par le Dr Kenneth Kizer, directeur de l’Institute for Population Health Improvement et professeur au Département de médecine d’urgence de l’Université de Californie. Le Dr Kizer a énuméré plusieurs conditions environnementales et climatiques qui menacent actuellement la santé de la population humaine, soit la pollution de l’air, l’urbanisation, l’acidification des océans, la déforestation, la diminution de l’accès à l’eau potable et la détérioration de sa qualité, la diminution de la biodiversité, la perte d’habitat et le chevauchement des habitats humains/animaux, et divers changements dans les schémas de maladies. Face à ces menaces, le Dr Kizer entrevoit quatre stratégies :

  • Considérer la santé de manière holistique, ce qui est une vision défendue par la santé publique depuis longtemps, mais qui est révolutionnaire pour d’autres intervenants du domaine de la santé ou du milieu politique;
  • Intégrer les savoirs des sciences de la terre, des sciences physiques, des sciences sociales et de l’ingénierie, dans le but d’augmenter la transversalité des programmes d’éducation universitaires;
  • Cibler l’innovation et créer des conditions propices à son développement, notamment par de nouveaux partenariats entre les universitaires, les gens d’affaires, les organismes non gouvernementaux et les collectivités;
  • Faire résonner l’enjeu des changements climatiques et environnementaux chez tous les groupes d’acteurs, afin qu’il devienne aussi préoccupant que les enjeux économiques ou de sécurité alimentaire.

Références

  1. National Academies of Sciences, Engineering, and Medicine. Implications of the California wildfires for health, communities, and preparedness: Proceedings of a workshop. Washington, DC: The National Academies Press; 2020.
  2. Larrère C. Les inégalités environnementales. Paris: Presses universitaires de France; 2017.