Surveillance des impacts sanitaires des vagues de chaleur extrême au Québec – Bilan de la saison estivale 2015

Introduction

Dans le contexte des changements climatiques, il est probable que le nombre et l’amplitude des vagues de chaleur soient à la hausse dans les prochaines années. L’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) a développé, à la demande du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), un système de surveillance et de prévention des impacts sanitaires des événements climatiques extrêmes (SUPREME). Ce système constitue un outil d’aide à la décision pour les mesures d’urgence et la prévention des problèmes de santé liés aux événements climatiques extrêmes.

Depuis 2010, l’équipe de surveillance en santé environnementale de l’INSPQ, en collaboration avec l’équipe des changements climatiques, réalise annuellement le bilan des impacts sanitaires des vagues de chaleur extrême1-5. L’objectif de ces bilans est d’estimer les impacts sanitaires des vagues de chaleur. Les résultats sont notamment utiles à la planification des mesures de prévention et de protection pour la saison estivale à venir.

Méthodologie

Une vague de chaleur extrême est définie comme les jours où les moyennes mobiles sur trois jours des températures maximales et des températures minimales observées aux stations météorologiques de référence atteignent les seuils de chaleur extrême définis. Ces seuils de chaleur extrême ont été établis afin de prévenir des excès significatifs de décès de 60 %6. Ils varient d’une région à l’autre (Tableau 1).

Tableau 1 - Seuils de chaleur extrême par régions sociosanitaires

Régions sociosanitaires Seuils de chaleur extrême
Température maximale (°C) Température minimale (°C)
01 Bas-Saint-Laurent 31 16
02 Saguenay-Lac-Saint-Jeant 31

16

03 Capitale-Nationale 31 16
04 Mauricie-et-Centre-du-Québec 31 18
05 Estrie 31 18
06 Montréal 33 20
07 Outaouais 31 18
08 Abitibi-Témiscamingue 31 16
09 Côte-Nord 31 16
10 Nord-du-Québec 31 16
11 Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine 31 16
12 Chaudière-Appalaches 31 18
13 Laval 33 20
14 Lanaudière 33 20
15 Laurentides 31 18
16 Montérégie 33 20

Afin d’estimer les impacts sanitaires des vagues de chaleur, il faut comparer les taux de décès, d’hospitalisation, de transport ambulancier et d’admission à l’urgence observés pendant une vague de chaleur à ceux de la période de comparaison. Les périodes à l’étude correspondent aux périodes des vagues de chaleur, auxquelles sont ajoutés les trois jours subséquents, afin de tenir compte de l’impact à court terme de la chaleur sur la santé.

Les périodes de comparaison correspondent aux mêmes jours de la semaine des dates les plus proches des vagues de chaleur, pendant les cinq années précédentes (2010 à 2014). Les périodes de comparaison ne doivent évidemment pas comporter des vagues de chaleur. Pour cette raison, pour l’analyse des impacts de la première vague de chaleur extrême (de la région de l’Outaouais), les données de l’année 2011 ont été exclues de la période de comparaison.

Sources de données

Les effectifs de population proviennent des projections démographiques diffusées par le MSSS7. Les données météorologiques, quant à elles, proviennent d’Environnement Canada.

Quatre indicateurs sanitaires sont utilisés : les décès, les hospitalisations, les admissions à l’urgence et les transports ambulanciers. Les décès quotidiens proviennent du Fichier hebdomadaire des décès de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ). Les décès quotidiens ont été extraits le 23 février 2016, conformément à la recommandation d’attendre au moins quatre mois après la date de la fin de la période d’analyse (30 septembre) avant d’extraire les données, évitant ainsi une sous-estimation trop importante des décès8. En ce qui concerne les données d’hospitalisation, elles ont été extraites du Relevé quotidien de la situation à l’urgence et au centre hospitalier (RQSUCH) du MSSS. Les admissions à l’urgence ainsi que les transports ambulanciers proviennent quant à eux du Système d’information et de gestion des départements d’urgence (SIGDU) du MSSS.

Analyses statistiques

Afin de mesurer les impacts significatifs d’une vague de chaleur sur le plan statistique, la valeur-p de la comparaison entre le taux brut pendant la vague de chaleur et celui de la période de comparaison a été calculée pour chacun des indicateurs sanitaires. Les coefficients de variation (CV) des taux bruts ont aussi été calculés dans le but d’estimer la précision de la mesure.

La méthodologie utilisée pour calculer les taux bruts et les CV est celle utilisée pour les indicateurs du Plan national de surveillance9.

Résultats

Au Québec, pendant la période de veille saisonnière estivale de 2015 (c’est-à-dire du 15 mai au 30 septembre), seulement deux vagues de chaleur extrême ont été détectées. Ces deux vagues de chaleur ont été observées dans la région de l’Outaouais en juillet et en août (Tableau 2).

Tableau 2 - Caractéristiques des vagues de chaleur extrême en 2015

Région sociosanitaire Date de début de la vague Durée de la vague (jours) Moyenne des températures
Max (°C) Min (°C)
Outaouais 27 juillet 5 31,8 17,9
Outaouais 16 août 3 31,4 18,5

Impacts sanitaires des vagues de chaleur extrême

L’analyse des données sanitaires pendant les vagues de chaleur extrême en Outaouais n’a pas permis de déceler d’augmentation significative des taux bruts de décès comparativement aux taux des périodes de comparaison (Tableau 3). Par contre, les taux d’admission à l’urgence étaient significativement plus élevés pendant les vagues de chaleur que pendant les périodes de comparaison. L’analyse des données pour la première vague de chaleur extrême révèle que le taux de transports ambulanciers était significativement plus élevé que pendant la période de comparaison. Finalement, le taux d’hospitalisation pendant la première vague de chaleur était inférieur à celui de la période de comparaison.

Les coefficients de variation (CV) des taux bruts indiquent que ces mesures sont précises (CV ≤ 16,6 %) (Tableau 3). Seul le CV du taux de décès pendant la deuxième vague de chaleur était légèrement plus élevé (16,9 %); ce taux devrait être interprété avec prudence9.

Tableau 3 - Impacts sanitaires des vagues de chaleur extrême

Région sociosanitaire / Date de début de la vague de chaleur Vagues de chaleur extrême (2015) Périodes de comparaison (2010-2014)d Valeur-pe
na Taux brutb CV (%)c na Taux brutb CV (%)c
Décès              
Ouataouais / 27 juillet 6,3 1,6 14,1 6,1

1,6

7,2 0,994
Ouataouais / 16 août 5,8 1,5 16,9 5,9

1,6

7,5 0,785
Hospitalisations              
Ouataouais / 27 juillet 48,6 12,5 5,1 53,1 14,1 2,4 0,033
Ouataouais / 16 août 61,5 15,8 5,2 55,5 14,7 2,4 0,233
Admissions à l'urgence              
Ouataouais / 27 juillet 494,6 127,0 1,6 458,7 121,6 0,8 0,015
Ouataouais / 16 août 490,8 126,0 1,8 449,9 119,4 0,9 0,009
Transports ambulanciers              
Ouataouais / 27 juillet 66,1 17,0 4,3 56,9 15,1 2,3 0,016
Ouataouais / 16 août 60,2 15,4 5,3 55,3 14,7 2,5 0,381

a n=Nombre moyen par jour.
b Taux brut par 100 000 personnes/jours.
c CV = coefficient de variation de taux brut.
d Les données de l'année 2011 ont été exclues de la période de comparaison pour l'analyse de la première vague de chaleur.
e Valeur-p de la comparaison des taux bruits pendant la vague de chaleur et les périodes de comparaison.

Discussion

La saison estivale de 2015 a été caractérisée par un mois de juin très frais, un mois de juillet modéré, puis par des chaleurs élevées en août et en septembre. Ainsi, de mai à septembre 2015, seulement deux vagues de chaleur ont été observées pour l’ensemble de la province, soit dans la région sociosanitaire de l’Outaouais. L’analyse des impacts sanitaires pendant ces deux vagues de chaleur dans la région de l’Outaouais ne révèle pas d’excès significatif des décès, par rapport à la période de comparaison. Les décès constituent le principal indicateur sanitaire de l’impact de la chaleur sur la santé.

Les taux d’admission à l’urgence (toutes causes confondues) pendant les deux vagues de chaleur ont été significativement plus élevés que pendant les périodes de comparaison. Les différences observées pendant les deux vagues de chaleur étaient respectivement de 4,4 % et de 5,5 %. En moyenne, près de 500 admissions à l’urgence par jour sont effectuées dans les hôpitaux de la région de l’Outaouais. Il s’agit donc d’un bon indicateur de vigie sanitaire qui est associé à une forte puissance statistique et qui permet de mettre en lumière de très petites différences significatives. Il faut cependant noter que ces petites différences ne constituent pas nécessairement d’importants problèmes de santé publique.

Les taux bruts de transports ambulanciers étaient aussi significativement supérieurs de 12,5 % pendant la première vague de chaleur, par rapport à la période de comparaison. Les transports ambulanciers constituent un indicateur sanitaire sensible aux impacts sanitaires des vagues de chaleur extrême. L’utilisation de cet indicateur, notamment en vigie sanitaire en cours de saison, représente un intérêt certain pour les intervenants des directions de santé publique.

Une anomalie statistique a cependant été constatée pour le taux d’hospitalisation, qui était significativement plus bas (‑11,3 %) pendant la première vague de chaleur que pendant la période de comparaison. Il est difficile d’expliquer ce résultat qui est en contradiction par rapport aux résultats attendus.

Forces et limites

La force de ce bilan tient au fait de l’utilisation des meilleures données disponibles afin de le produire le plus rapidement possible, c’est-à-dire avant l’arrivée de la prochaine saison estivale.

Cependant, certaines limites sont à considérer dans l’interprétation des résultats. La première concerne les seuils des températures maximales et minimales utilisés pour définir les vagues de chaleur. Les seuils ont été établis dans le but de détecter, à partir des prévisions météorologiques, une surmortalité de plus de 60 %6. Ainsi, il est attendu que les impacts des vagues de chaleur sur les décès ne soient pas toujours mesurables sur le plan statistique. D’une part, ces seuils ont été établis en 2010 en utilisant les données météorologiques et des décès de la période de 1981 à 20056. L’utilisation des données sanitaires et météorologiques plus récentes pourrait modifier les seuils. D’autre part, ces seuils ne considèrent pas la température ressentie. La littérature scientifique récente suggère différentes méthodologies alternatives pour définir une vague de chaleur, par exemple, deux ou trois jours avec une température ressentie au-dessus du 90e, du 95e ou du 99e percentile (établi sur plusieurs saisons estivales)10-12. Gronlund10 propose aussi de délimiter des zones à risque en fonction des degrés-jours cumulés au-dessus d’un certain seuil (18,3ºCelsius). Ces méthodologies et techniques devraient être considérées, si les seuils d’alerte des vagues de chaleur sont révisés.

Une deuxième limite est l’absence de diagnostic médical pour les décès, les hospitalisations et les admissions à l’urgence. Pour cette raison, seuls les impacts globaux peuvent être étudiés. Cependant, des impacts sanitaires plus importants sont documentés pour les maladies cardiovasculaires, respiratoires et rénales, notamment pour les admissions à l’urgence11,13.

Troisièmement, les bases de données sanitaires utilisées ne permettent pas de documenter l’âge des individus atteints. Les impacts des vagues de chaleur sur les décès sont plus importants chez les personnes âgées14. Pour les décès, seuls les grands groupes d’âge sont disponibles dans le Fichier hebdomadaire des décès de l’ISQ. Une analyse complémentaire (données non présentées) indique que, pendant les vagues de chaleur de la saison estivale de 2015, il n’y pas eu d’effet significatif sur le plan statistique pour les décès chez les personnes âgées de 65 ans et plus dans la région de l’Outaouais.

De même, en raison de l’absence de l’âge, aucune des comparaisons effectuées ne peut être ajustée pour l’effet de l’âge. Le problème de l’ajustement des taux est probablement de moindre importance, compte tenu du fait que les comparaisons sont effectuées région par région. Ainsi, il est peu probable que les structures d’âge de la région sociosanitaire présentent des différences marquées entre la période de vague de chaleur et la période de comparaison.

Il est à noter que le Fichier hebdomadaire des décès de l’ISQ et le RQSUCH ne comprennent pas les résidents de l’Outaouais qui sont décédés ou qui ont été hospitalisés en Ontario. Ainsi, spécifiquement pour la région de l’Outaouais, ces banques de données sous-estiment potentiellement l’importance de ces problèmes de santé, et pourraient masquer un impact réel des vagues de chaleur sur la santé.

Finalement, il est important de mentionner que les estimations des impacts sanitaires ne considèrent pas l’environnement physique (p. ex. le fait de résider dans un îlot de chaleur urbain), ainsi que les effets combinés de certains autres facteurs confondants, comme la qualité de l’air15 et le statut socio-économique14.

Conclusion

Les deux vagues de chaleur survenues en 2015 en Outaouais n’ont pas eu d’impact statistiquement significatif sur les décès (toutes causes confondues). Les résultats de nos analyses indiquent toutefois des impacts significatifs sur les transports ambulanciers et les admissions hospitalières dans la même région. Ces deux indicateurs sanitaires sont disponibles en temps quasi réel dans le SUPREME et devraient être considérés dans les activités de prévention des impacts des vagues de chaleur par les intervenants des directions régionales de santé publique.

Références

  1. Bustinza, R., G. Lebel et M. Dubé (2015). « Surveillance des impacts sanitaires des vagues de chaleur extrême au Québec – bilan de la saison estivale 2014 », BISE (Bulletin d’Information en Santé Environnementale) - Institut national de santé publique du Québec.
  2. Bustinza, R., G. Lebel et M. Dubé (2014). « Surveillance des impacts sanitaires des vagues de chaleur au Québec, Bilan de la saison estivale 2013 », BISE (Bulletin d’Information en Santé Environnementale) - Institut national de santé publique du Québec.
  3. Lebel, G., et R. Bustinza (2013). Surveillance des impacts sanitaires des vagues de chaleur extrême au Québec, Bilan de la saison estivale 2012, Québec, Institut national de santé publique du Québec.
  4. Bustinza, R., et G. Lebel (2012). Surveillance des impacts sanitaires des vagues de chaleur extrême au Québec, Bilan de la saison estivale 2011, Institut national de santé publique du Québec.
  5. Bustinza, R., G. Lebel, P. Gosselin, D. Bélanger et F. Chebana (2013). « Health impacts of the July 2010 heat wave in Québec, Canada », BMC public health, vol. 13, p. 56.
  6. Martel, B., J. X. Giroux, P. Gosselin, F. Chebana, B. B. J. Taha et C. Charron (2010). Indicateurs et seuils météorologiques pour les systèmes de veille-avertissement lors de vagues de chaleur au Québec, Institut national de santé publique du Québec et Institut national de la recherche scientifique - Eau, Terre et Environnement.
  7. Ministère de la Santé et des Services sociaux (février 2015). « Estimations et projections de population comparables (1996-2036) », dans Ministère de la Santé et des Services sociaux.
  8. Lebel, G., R. Bustinza et M. Dubé (2015). Évaluation du Fichier hebdomadaire des décès pour l’estimation des impacts des vagues de chaleur, Québec (Québec), Institut national de santé publique du Québec.
  9. Institut national de santé publique du Québec en collaboration avec le Groupe de travail des indicateurs du Plan commun de surveillance à l’Infocentre de santé publique (2015). Cadre méthodologique des indicateurs du Plan national de surveillance (Plan commun de surveillance et Plan ministériel de surveillance multithématique) à l’Infocentre de santé publique, Version 3.2, Québec.
  10. Gronlund, C. J., A. Zanobetti, J. D. Schwartz, G. A. Wellenius et M. S. O’Neill (novembre 2014). « Heat, heat waves, and hospital admissions among the elderly in the United States, 1992-2006 », Environmental Health Perspectives, vol. 122, n° 11, p. 1187‑1192.
  11. Petkova, E. P., H. Morita et P. L. Kinney (juin 2014). « Health impacts of heat in a changing climate: how can emerging science inform urban adaptation planning? », Current epidemiology reports, vol. 1, n° 2, p. 67‑74.
  12. Lee, W. K., H. A. Lee, Y. H. Lim et H. Park (1er octobre 2015). « Added effect of heat wave on mortality in Seoul, Korea », International Journal of Biometeorology.
  13. Franchini, M., et P. M. Mannucci (janvier 2015). « Impact on human health of climate changes », European Journal of Internal Medicine, vol. 26, n° 1, p. 1‑5.
  14. Benmarhnia, T., S. Deguen, J. S. Kaufman et A. Smargiassi (novembre 2015). « Review Article: Vulnerability to Heat-related Mortality: A Systematic Review, Meta-analysis, and Meta-regression Analysis », Epidemiology (Cambridge, Mass.), vol. 26, n° 6, p. 781‑793.
  15. Heudorf, U., et M. Schade (août 2014). « Heat waves and mortality in Frankfurt am Main, Germany, 2003-2013: what effect do heat-health action plans and the heat warning system have? », Zeitschrift Für Gerontologie Und Geriatrie, vol. 47, n° 6, p. 475‑482.

Remerciements

Ce bilan a été réalisé grâce au soutien financier du Fonds vert, dans le cadre de l'Action 21 du Plan d'action 2013-2020 sur les changements climatiques du gouvernement du Québec.

Auteur(-trice)s
Germain Lebel
M. A., M. Sc., conseiller scientifique, Direction de la santé environnementale et de la toxicologie
Ray Bustinza
M. Sc., conseiller scientifique, Institut national de santé publique du Québec
Marjolaine Dubé
B. Sc., conseillère scientifique, Direction de la santé environnementale et de la toxicologie
Sujet(s)
Chaleur extrême
Type de publication
Date de publication