3 mars 2013

Comment définir une vague de froid?

Résumé scientifique
Le texte qui suit est le résumé d’une publication scientifique (ou d’une étude) n’ayant pas été réalisée par l’Institut national de santé publique du Québec. Cette analyse critique ne peut donc pas être considérée comme la position de l’Institut. Son objectif est de porter à l’attention des lecteurs des éléments récents de la littérature scientifique, et ce, sous un éclairage critique découlant de l’expertise des auteurs du résumé.
Auteur(s)
Ray Bustinza
M. Sc., conseiller scientifique, Institut national de santé publique du Québec
Germain Lebel
M. A., M. Sc., conseiller scientifique, Direction de la santé environnementale et de la toxicologie

Introduction

Plusieurs études ont démontré une association entre les températures hivernales et l’augmentation significative de certains problèmes de santé, tels que les décès pour les causes non accidentelles,1,2,3 pour les maladies cardiovasculaires,4,5,6 les maladies respiratoires,7,8 les maladies coronariennes,9,10 les maladies cérébrovasculaires,11,12 ainsi que pour l’insuffisance cardiaque.13,14 Cependant, très peu de ces études ont eu recours à une définition objective de vague de froid.

Or, l’établissement d’une définition opérationnelle de vague de froid est une étape essentielle à la mise en place d’un système d’alerte au froid. Durant les cinq dernières années, seulement trois études ont analysé l’association entre le froid et les impacts sur la santé à l’aide d’une définition opérationnelle de vague de froid : Ma et al. (2013)6, Kysely et al (2009)5 et Revich et Shaposhnikov (2008).3 À partir de l’analyse de ces trois études, quelques précisions méthodologiques concernant la définition opérationnelle d’une vague de froid sont discutées.

Enjeux méthodologiques

Un système de surveillance émet un avertissement lorsque la survenue d’une vague de froid, ayant le potentiel d’avoir un impact significatif sur la santé, est imminente. En général, l’avertissement est émis lorsqu’il est prévu qu’un paramètre météorologique (ou une combinaison de plusieurs paramètres) dépassera un certain seuil, pendant une certaine période. Le seuil et la période devraient être établis à partir des études analysant le lien entre un paramètre météorologique et un problème de santé, mais l’information scientifique disponible à l’heure actuelle est limitée.

Toutefois, en se basant sur les études concernant les vagues de froid, et sur d’autres études ayant analysé le lien entre la chaleur et les impacts sanitaires, il est possible d’établir certains critères pour l’établissement d’une définition opérationnelle de vague de froid. À notre avis, deux étapes sont essentielles : i) le choix des paramètres météorologiques et des problèmes de santé à analyser, et ii) l’analyse des associations statistiques entre ces paramètres.

Choix des paramètres

Le processus du choix des paramètres doit satisfaire certaines conditions.

Premièrement, les associations statistiques entre les paramètres météorologiques et les problèmes de santé doivent avoir été établies par des études épidémiologiques.

Actuellement, plusieurs paramètres satisfont cette condition.

Paramètres météorologiques

Concernant les paramètres météorologiques, en tant que mesure de l’exposition au froid, les trois études sélectionnées ont utilisé la température moyenne3,6 et la température maximale.5 Kysely et al. expliquent que le choix de la température maximale est basé, d’une part, sur le fait qu’elle est une mesure d’exposition diurne qui exprime mieux l’exposition de la plupart de la population au froid que la température minimale nocturne, et d’autre part, qu’elle présente un meilleur lien avec la mortalité que la température minimale. Les deux autres auteurs n’expliquent pas leur choix. Par ailleurs, quelques études qui ont analysé l’impact sur la santé des saisons hivernales ont aussi fait appel à des indices d’inconfort, spécifiquement la température ressentie, la température effective et le refroidissement éolien.1,9,15 Ces indices sont basés sur les valeurs de température, combinées à d’autres paramètres comme l’humidité ou la vitesse du vent. Toutefois, il n’existe pas actuellement de consensus pour établir si ces indices évaluent mieux l’exposition au froid que la température.16

Les problèmes de santé

Pour plusieurs problèmes de santé, des associations significatives avec les paramètres météorologiques ont été démontrées. Ma et al6, à Shanghai, en Chine, ont trouvé que les vagues de froid sont associées à une augmentation significative du taux brut de mortalité pour les causes non accidentelles de 13 % et pour les maladies cardiovasculaires de 20 % approximativement par rapport aux périodes de comparaison. Par contre, il n’y a pas d’association significative avec les taux de décès pour les maladies respiratoires. Dans une étude menée dans la République tchèque5, les auteurs ont signalé que le taux brut de mortalité pour les maladies cardiovasculaires chez les personnes âgées de 25 ans et plus est significativement plus élevé de 6 % durant les vagues de froid que pendant les périodes de comparaison. Revich et Shaposhnikov3, à Moscou, rapportent, parmi le groupe de personnes âgées de 75 ans et plus seulement, une augmentation significative du taux brut de mortalité pour les causes non accidentelles de 10 % et 9 %, pour les maladies ischémiques cardiaques de 10 % et 5 % et par maladies cérébrovasculaires de 7 % et 10 % pendant les deux vagues de froid étudiées respectivement. Le taux de décès pour les maladies respiratoires, en revanche, n’a pas montré d’augmentation significative pendant les vagues de froid. D’un autre côté, d’autres études ont rapporté que toute baisse de la température de 1 °C est associée à une augmentation significative des décès pour les maladies respiratoires variant de 1,5 à 3,3 %.1,3 D’autres études signalent aussi des associations entre le froid et les taux de décès pour les maladies coronariennes,9,10 les maladies cérébrovasculaires,11,12 ainsi que les taux d’hospitalisations pour l’insuffisance cardiaque.13,14

Deuxièmement, les problèmes de santé et les paramètres météorologiques doivent être disponibles, sur une base journalière, dans les banques de données historiques.

Ceci est nécessaire afin de caractériser les associations statistiques entre ces deux phénomènes.

Finalement, des prévisions météorologiques fiables doivent être disponibles sur une base journalière.

Dans le cas des indices d’inconfort, ce sont plutôt les données de prévision nécessaires pour leur calcul qui doivent être disponibles sur une base journalière. Cette condition est nécessaire, car les systèmes d’avertissement sont basés sur des données prévisionnelles, afin de prévenir les risques sanitaires liés aux vagues de froid.

En résumé, les variables choisies doivent remplir les critères suivants :

  • les associations statistiques entre les problèmes de santé et les paramètres météorologiques doivent avoir été démontrées;
  • les données doivent être disponibles sur une base journalière dans les banques de données historiques;
  • les prévisions météorologiques fiables doivent être disponibles sur une base journalière.

Analyse de l’association entre les problèmes de santé et les paramètres météorologiques

L’analyse des associations entre les problèmes de santé et les paramètres météorologiques est basée sur la recherche de seuils, à partir desquels une vague de froid pourrait entraîner un excès important de la fréquence d’un problème de santé. Afin de déterminer l’impact sur la santé, on compare la fréquence des problèmes de santé pendant la période où les seuils du paramètre météorologique sont dépassés (vagues de froid) aux périodes sans dépassement (périodes de comparaison). Pour caractériser adéquatement une vague de froid, il faut déterminer, à partir des données historiques journalières des problèmes de santé et des paramètres météorologiques, deux seuils : i) la valeur-seuil de la variable météorologique et ii) la durée-seuil de l’exposition à cette valeur-seuil, qui entraîne une hausse significative de la fréquence du problème de santé.17,18

Parmi les études sélectionnées dans cette analyse, plusieurs définitions ont été utilisées. Ma et al ont défini une vague de froid comme une période d’au moins sept jours consécutifs avec une température moyenne journalière au-dessous du 3e percentile de la distribution des températures durant la période à l’étude.6 Par contre, Kysely et al ont défini une vague de froid comme une période d’au moins trois jours consécutifs avec une température maximale journalière au-dessous de -3,5 °C.5 Finalement, Revich et Shaposhnikov ont défini une vague de froid comme une période d’au moins neuf jours consécutifs avec une température moyenne journalière au-dessous le 3e percentile dont six jours avec une température au-dessous du 1er percentile.7 Les différences entre ces définitions tant pour la valeur-seuil de la variable que pour la durée-seuil de l’exposition sont évidentes.

L’analyse du lien entre les variables sanitaires et météorologiques doit remplir certaines conditions.

Premièrement, l’unité géographique doit être, dans la mesure du possible, homogène du point de vue météorologique.

Dans les cas où le nombre de cas (du problème de santé à l’étude) ne soit pas assez important (faible puissance statistique) pour comparer les périodes de vague de froid et les périodes de comparaison, il est nécessaire de regrouper plusieurs villes ou régions en fonction de l’homogénéité des paramètres météorologiques. Idéalement, afin d’éviter des valeurs moyennes, les données météorologiques analysées pour une région donnée devraient provenir d’une seule station météorologique. Des études sélectionnées, l’étude de Kysely et al est la seule à avoir recours à des paramètres météorologiques pour l’ensemble d’un pays. Cependant, les auteurs signalent que la République tchèque est d’une superficie relativement petite, et pour cette raison, le pays est homogène du point de vue météorologique.5

Deuxièmement, toute tendance détectée dans les données historiques des problèmes de santé doit être ajustée.

Il est possible que la fréquence des problèmes de santé varie au fil des ans, pour différentes raisons (p. ex., le vieillissement de la population, les avancées technologiques médicales ou les changements des habitudes de vie). Pour mieux comprendre l’association entre les paramètres météorologiques et la santé, il est nécessaire d’éliminer ces variations à l’aide de méthodes d’ajustement statistique appropriées.18 Deux5,6 des trois études sélectionnées ont ajusté pour la présence de tendances dans les données de mortalité.

Troisièmement, l’excès de la fréquence des problèmes de santé doit être spécifique aux vagues de froid.

Il faut prendre en considération que l’association entre la santé et les vagues de froid peut être modifiée en raison de la présence d’épidémies associées à la saison hivernale, comme l’influenza et les infections respiratoires aiguës.19 L’étude de Kysely et al est la seule à avoir considéré les épidémies hivernales d’influenza et les infections respiratoires aiguës.

Finalement, l’analyse de l’association entre les problèmes de santé et les paramètres météorologiques doit prendre en considération le temps de latence entre le début de l’exposition à une vague de froid et le début des impacts sanitaires.

Certains effets sur la santé dus au froid peuvent se présenter immédiatement (p. ex., l’hypothermie), alors que d’autres peuvent se manifester plusieurs jours après l’exposition au froid (p. ex. les maladies cardiovasculaires et respiratoires). Le temps de latence entre le froid et l’impact sur la santé varie de 7 à 14 jours pour les décès pour les maladies cardiovasculaires, de 5 à 6 jours pour les décès pour les maladies cérébrovasculaires, de 1 à 3 jours pour les décès par maladies ischémiques cardiaques, et 7 à 18 jours pour les décès pour les maladies respiratoires.16 Cependant, des trois études analysées, seulement l’étude de Kysely et al a considéré la notion de temps de latence dans l’évaluation de l’impact sanitaire, mais de façon partielle. Ils ont fixé arbitrairement la période d’évaluation des impacts à la même durée que la vague de froid, limitant ainsi, à notre avis, une analyse plus exhaustive des impacts sanitaires.

En résumé, l’analyse de l’association statistique entre la fréquence des problèmes de santé et les paramètres météorologiques doit satisfaire les critères suivants :

  • l’unité géographique analysée doit être homogène du point de vue météorologique;
  • les tendances temporelles détectées dans les données historiques de la fréquence des problèmes de santé doivent être ajustées;
  • l’excès de la fréquence des problèmes de santé doit être spécifique aux vagues de froid;
  • l’analyse doit considérer le temps de latence entre le début de l’exposition aux vagues de froid et le début des impacts sanitaires.

Conclusion

L’association statistique entre le froid et la santé humaine n’est pas encore bien comprise. Des questions persistent sur le bon choix des paramètres météorologiques et des problèmes de santé, sur la façon de mesurer la relation entre ces deux paramètres, ainsi que sur le rôle d’autres facteurs qui pourraient moduler cette relation. Les réponses à ces questions permettront l’établissement d’une définition opérationnelle des vagues de froid, et la mise en place éventuelle d’un système d’alerte pour la prévention des impacts sanitaires du froid intense.

L’importance de cet article pour le Québec

Au Québec, il n’existe pas de définition opérationnelle de vagues de froid. Depuis mai 2012, le volet Froid du Système de surveillance et de prévention des impacts sanitaires des évènements météorologiques extrêmes (SUPREME), développé par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), est disponible aux autorités de santé publique. Ce système envoie aux utilisateurs les avertissements de refroidissement éolien d’Environnement Canada, qui sont basés sur le dépassement de seuils de l’indice de refroidissement éolien calculé à partir des prévisions de la température et la vitesse du vent. Cette information permet aux directions de santé publique de mettre en place en temps opportun des mesures de prévention et de protection de la santé de la population. Les seuils, cependant, ont été déterminés en se basant seulement sur le risque d’engelure de la peau exposée.

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