28 mai 2018

Une plante médicinale huronne-wendat menacée par l’éradication de la berce du Caucase

Article
Auteur(s)
Louis Lesage
Ph. D. Biol., directeur du Bureau du Nionwentsïo, Nation huronne-wendat

Résumé

La berce du Caucase fait l’objet de campagnes d’éradication au Québec en raison de son rôle envahissant et nocif pour la santé en cas de contact. La berce laineuse, ou « Poglus » en Huron-Wendat, est très similaire à la berce du Caucase et possède des propriétés médicinales utilisées, entre autres, lors de la pandémie de grippe espagnole en 1918. En raison des ressemblances entre les deux espèces, il importe, lors d’activités d’éradication, de bien cibler la plante nocive afin de prévenir la disparition de la plante utile, la berce laineuse.

Introduction

Introduite au Québec au tournant du XXe siècle, la berce du Caucase (Heracleum mantegazzianum) fait partie aujourd’hui d’une liste de plantes peu enviables, soit celle des plantes exotiques et envahissantes. Cette plante, connue pour sa taille, sa beauté, la complexité de ses fleurs et sa capacité à croître dans des environnements parfois marginaux, s’avère un choix d’ornement végétal original. À ces qualités s’oppose une menace : sa sève contient des toxines qui peuvent causer des lésions et des brûlures parfois graves aux personnes qui la manipulent sans protection adéquate. Résultat : des campagnes d’éradication provinciales tentent de limiter la propagation de cette plante indésirable et nuisible à la santé de la population.

Paradoxalement, une plante indigène du Québec très similaire à la berce du Caucase possède des propriétés médicinales hors du commun utilisées depuis des siècles. Il s’agit de la grande berce, ou « berce laineuse » (Heracleum maximum), une plante commune au Québec qui pousse généralement dans les milieux ouverts en bordure de routes ou de ruisseaux. Contrairement à la berce du Caucase, la berce laineuse n’est pas envahissante, et elle ne pose pas de risques pour la santé ou l’environnement.

Curieusement, ces deux berces annuelles démontrent des caractéristiques remarquables. Par exemple, elles peuvent atteindre 3 mètres de hauteur et développer des feuilles pouvant atteindre un diamètre impressionnant de plus de 60 centimètres. Il n’est donc pas surprenant d’imaginer qu’avec de telles feuilles, celles-ci soient capables de capter d’importantes quantités d’énergie solaire pour produire des composés structuraux (ce qui explique ce gigantisme!) et secondaires, qui, eux, peuvent autant combattre la fièvre que causer des brûlures. En fait, par leurs capacités de croissance si rapide et leurs tailles impressionnantes, ces plantes ont aussi les capacités génétiques de produire des substances chimiques, thérapeutiques dans le cas de la grande berce. 

Un remède miracle?

Le frère Marie-Victorin mentionne l’utilisation de la berce laineuse par les Hurons-Wendat dans son livre Flore laurentienne dès sa première édition en 1935 (1). Pour les Hurons-Wendat de Wendake, la berce laineuse porte le nom de « Poglus ». L’illustre botaniste mentionne notamment que le Poglus a été employé avec succès par les Hurons-Wendat pour combattre l’épidémie de grippe espagnole de 1918 qui sévissait au Québec comme ailleurs dans le monde. Cette pandémie aurait fait 50 millions de morts selon l'Institut Pasteur (2), et jusqu'à 100 millions selon certaines réévaluations récentes. Elle serait la pandémie la plus mortelle de l'histoire étant survenue dans un laps de temps aussi court (3-4). Environ 33 % de la population mondiale aurait été contaminée.

Chez les Hurons-Wendat, les récits d’époque rapportent une seule victime de la grippe espagnole à Wendake, en 1918. Selon la tradition orale, cette personne aurait contracté la maladie, se serait soignée avec du Poglus et en aurait guéri. Toutefois, à son retour au travail à l’extérieur lors de journées pluvieuses et froides d’automne, elle aurait rechuté pour finalement succomber à la suite de complications.

Dans son journal, le chef Pierre-Albert Picard mentionne : « Mardi le 29 octobre 1918 : Vers midi mort de Louis Philippe Bastien à l’âge de 22 ans : il était le plus jeune des fils d’Antoine Oscar Bastien, ex-agent de la tribu. Jeune homme intelligent, il venait de compléter ses études classiques au Séminaire de Québec. Il est le seul de la tribu qui est mort de l’implacable grippe espagnole. La mort passe et tout est fini pour toujours (5). » 

Des mentions anecdotiques dans le journal Le Soleil d’octobre 1918 font état du Poglus des Hurons de Lorette comme étant une « panacée contre la fièvre » et que les « officiels du département d’horticulture ont pris note de la description donnée [de la plante] et se proposent de retourner, l’été prochain, étudier la plante merveilleuse (6) . » (voir texte intégral page suivante)

Au plus fort de l’épidémie, les anciens de Wendake se souviennent que des quantités phénoménales de Poglus étaient cueillies par des membres de la communauté, puis accumulées dans des wagons de train à la gare de Wendake. Cette gare est aujourd’hui disparue. Elle a laissé place à l’Hôtel-Musée des Premières Nations. Ces cargaisons de Poglus étaient ensuite dirigées vers les cousins et cousines Wyandots qui habitent les états du Michigan, du Kansas et de l’Oklahoma, aux États-Unis. Eux aussi connaissaient les vertus de cette plante et demandaient à la confrérie huronne de Wendake de les en approvisionner.

Riches de cette connaissance médicinale transmise de génération en génération, les Hurons-Wendat continuent de soigner fièvre et grippe hivernale grâce au Poglus. Chaque automne, quelques plants sont cueillis puis séchés par des membres de la communauté en prévision de symptômes possibles de l’influenza et, dans le pire des scénarios, pour contrecarrer toute nouvelle épidémie. La possible pandémie du virus H1N1 annoncée en 2009 avait fait resurgir chez les Hurons-Wendat le souvenir d’avoir survécu à la grippe espagnole du début du siècle dernier. En rappel de ce succès curatif, ceux-ci ont donc fait provision de Poglus!

Malheureuse ressemblance

Qui dit ressemblance dit aussi méprise lors de l’identification. Ainsi, le Poglus est trop souvent confondu avec la nouvelle arrivante du Caucase. À première vue, ces plantes sont franchement similaires par leur apparence, leur taille, leurs feuilles et leurs fleurs. Seul un œil averti distinguera les caractéristiques du Poglus : par exemple, ses feuilles sont moins découpées et dentelées que celles de la berce du Caucase, la face inférieure de ses feuilles est couverte de poils blancs et souples, ou encore de petits croissants bruns caractéristiques sont observables sur ses graines.

Ces similitudes bernent particulièrement les néophytes occupés à faucher les plants lors des campagnes d’éradication. Ces efforts pour contrecarrer l’envahissante berce du Caucase se déploient un peu partout dans le Québec méridional depuis sa première mention, en 1990. Aujourd’hui, elle est observée dans les régions suivantes : Bas-Saint-Laurent, Capitale-Nationale, Chaudière-Appalaches, Estrie, Lanaudière, Laurentides, Mauricie–Centre-du-Québec, Montérégie, Montréal, Outaouais et Saguenay–Lac-Saint-Jean. Dans les faits, ces deux Heracleum disparaissent simultanément sans distinction, pour le bien-être des citoyens qui cherchent à se prémunir de potentielles brûlures de la berce du Caucase.

Ces activités d’éradication ont donc des conséquences tant inattendues qu’accidentelles, avec comme résultat la disparition du Poglus d’une région à l’autre du Québec. Autrefois abondante le long des chemins et des ruisseaux de nos régions, cette plante est aujourd’hui disparue des secteurs historiquement récoltés par les Hurons-Wendat. Si une petite population de Poglus est trouvée, une récolte soignée de quelques plants par année s’avère nécessaire afin de voir cette population se renouveler annuellement. Malheureusement, trop souvent, ces petites populations disparaissent et ne sont plus disponibles en période de récolte l’automne suivant, résultat des effets collatéraux des efforts d’éradication visant à stopper la propagation de la berce du Caucase. Ainsi, il devient nécessaire de sensibiliser les différents intervenants quant à l’importance de cibler précisément l’espèce nocive lors des activités d’éradication. 

Conclusion

Le savoir médical des Hurons-Wendat est le résultat d’essais et erreurs où les résultats positifs ont été transmis aux générations subséquentes au cours des millénaires précédents. Cette transmission est aujourd’hui essentielle pour les plus jeunes, à condition qu’il reste des grandes berces quelque part…

Pour en savoir plus sur les caractéristiques distinctes de la berce du Caucase et des espèces similaires :

Pour toute correspondance

Louis Lesage
Bureau du Nionwentsïo
Nation huronne-wendat
255, place Chef Michel Laveau
Wendake (Québec)  G0A 4V0
Courriel : [email protected] 

Référence

  1. Marie-Victorin Fr, Rouleau E., Brouillet L. Flore laurentienne. 3e éd., Gaétan Morin éditeur; 2002.

  2. Wikipedia. Institut Pasteur. 2018. Disponible : https://fr.wikipedia.org/wiki/Institut_Pasteur

  3. Wikipedia. Grippe de 1918. 2018. Disponible : https://fr.wikipedia.org/wiki/Grippe_de_1918

  4. Corniou M. Grippe espagnole: la grande tueuse. Québec Science; 2015. Disponible : http://www.quebecscience.qc.ca/Sante/Grippe-espagnole-la-grande-tueuse

  5. Journal du chef Pierre-Albert Picard. Archives de la Nation huronne-wendat.

  6. Un remède huron contre la grippe. Le Soleil. 1918, 25 octobre, p. 12.