Détermination de concentrations seuils de trihalométhanes dans l'eau potable lors de dépassements trimestriels de la norme

Les trihalométhanes (THM) sont un groupe de sous-produits chlorés résultant de la réaction du chlore utilisé comme désinfectant avec des matières organiques naturellement présentes dans l'eau. Les composés THM de l'eau potable sont le chloroforme (TCM), le bromodichlorométhane (BDCM), le dibromochlorométhane (DBCM) et le bromoforme (TBM). La population est principalement exposée aux THM par ingestion d'eau potable. Ces composés peuvent également être absorbés par la peau lors d'un contact cutané avec l'eau ou encore être inhalés une fois qu'ils se sont volatilisés de l'eau. Outre l'ingestion d'eau potable, la douche, la lessive, le lave-vaisselle, les piscines et les cuves thermales figurent parmi les sources d'exposition aux THM. Ces substances sont aussi détectées dans les aliments et, dans une moindre mesure, dans l'air extérieur et dans certains produits de consommation.

Les THM sont des composés facilement et rapidement absorbés dans l'organisme. Le métabolisme a principalement lieu dans le foie par le biais du cytochrome P450 et, secondairement, par conjugaison au glutathion. Le foie et les reins seraient les principaux organes cibles identifiés au cours de nombreuses études réalisées chez les animaux. Des effets sur la reproduction et sur le développement de même que des cancers ont été relevés chez l'animal et chez l'humain.

Les teneurs en THM dans les réseaux de distribution d'eau potable peuvent varier dans le temps et dans l'espace. Généralement, elles ont tendance à être plus élevées en été et en automne. Au Québec, selon le Règlement sur la qualité de l'eau potable, la norme pour les THM totaux est une moyenne annuelle de prélèvements trimestriels fixée à 80 µg/L. Comme la norme est exprimée sous forme de moyenne annuelle, des concentrations trimestrielles supérieures à 80 µg/L de THM totaux sont tolérées. Conséquemment, il importe de déterminer jusqu'à quel niveau la concentration trimestrielle de THM d'un réseau de distribution d'eau potable peut excéder la norme sans qu'elle ne cause d'effet sur la santé des consommateurs.

L'objectif du présent travail est donc de déterminer, sur la base des effets sur la santé, la concentration maximale pouvant être tolérée lors d'un prélèvement trimestriel. Pour ce faire, des concentrations seuils pour une exposition de durée sous-chronique ont été calculées à partir des approches proposées dans le document intitulé Étude exploratoire d'approches de gestion de risque lors des dépassements des normes chimiques dans l'eau potable (Valcke, 2006) édité par l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). Ce document propose trois approches afin d'estimer des critères pour une exposition sous-chronique, soit : 1) par l'utilisation des Minimal Risk Levels de l'Agency for Toxic Substances and Disease Registry (ATSDR, 2003); 2) par l'utilisation des Drinking Water Health Advisories (HA) de l'United States Environmental Protection Agency (U.S. EPA) et 3) par la détermination d'une marge d'exposition. Ces approches ont recours à la démarche usuelle d'établissement de normes pour l'eau potable, fondée sur les propriétés toxicologiques de la substance. Finalement, une quatrième approche, basée sur la démarche probabiliste d'évaluation du risque toxicologique pour la santé humaine, a été employée pour estimer la concentration trimestrielle maximale sécuritaire pour les THM dans l'eau potable.

Les concentrations trimestrielles sans effet sur la santé ont été calculées pour chaque composé THM et non pas pour les THM totaux, compte tenu du fait que la proportion des composés THM dans l'eau varie d'un échantillon à l'autre et du fait que chaque composé possède une toxicité qui lui est propre. Conformément à la démarche d'établissement des HA de l'U.S. EPA, les concentrations seuils pour une exposition sous-chronique ont été déterminées pour la population générale (adulte pesant 70 kg) et la population sensible (enfant pesant 10 kg).

Les concentrations trimestrielles seuils estimées pour le TCM à partir des différentes approches ont certaines similitudes. Toutefois, pour les THM bromés, la différence entre les résultats obtenus peut s'avérer, dans certains cas, considérable. Les approches employées pour dériver ces concentrations seuils, dans le cas d'une exposition trimestrielle, se différencient notamment par la contribution relative attribuée à l'ingestion d'eau potable par rapport à l'exposition totale ainsi que par la dose repère retenue et les facteurs d'incertitude considérés.

Les concentrations seuils sous-chroniques calculées ont été comparées aux concentrations mesurées dans 7 897 échantillons d'eau potable prélevés dans les réseaux municipaux de distribution d'eau potable au Québec entre juillet 2004 et novembre 2006. Pour le TCM, les concentrations seuils les plus faibles sont le HA de l'U.S. EPA ainsi que la concentration définie à partir du MRL. Ces concentrations sont respectivement de 350 µg/L pour la population générale et de 100 µg/L pour la population sensible. Une concentration de 100 µg/L correspond au 90e centile de la distribution des concentrations de TCM tirées de la base de données (n = 7 897). Dans le cas des THM bromés, l'approche présentant la concentration seuil la plus faible varie selon le composé. Les plus faibles concentrations trimestrielles acceptables pour le BDCM correspondent au HA, soit une concentration de 2 000 µg/L pour la population générale et une concentration de 600 µg/L pour la population sensible. Aucun échantillon de la base de données (n = 7 897) ne présente une concentration supérieure à 600 µg/L. En ce qui a trait au DBCM, les concentrations seuils les plus restrictives sont respectivement établies à 600 et à 200 µg/L pour la population générale et la population sensible d'après les HA. La concentration maximale indiquée dans la base de données pour le DBCM est de 157 µg/L (n = 7 897). Finalement, les plus faibles concentrations sans effet sur la santé, pour une exposition sous-chronique au TBM de l'eau potable, proviennent de l'approche employant les MRL, et ces concentrations sont respectivement de 700 µg/L et de 200&nbps;µg/L pour la population générale et la population sensible. L'U.S. EPA suggère également un HA de 200 µg/L pour un enfant de 10 kg. Un seul échantillon de la base de données a une concentration supérieure à 200 µg/L.

À partir des concentrations seuils sous-chroniques calculées pour la population sensible et la population générale, à l'aide des différentes approches et d'après les statistiques extraites de la base de données contenant les concentrations de THM mesurées au Québec entre 2004 et 2006, le Groupe scientifique sur l'eau de l'INSPQ (GSE) devrait être en mesure de statuer sur une valeur guide d'intervention lors de dépassements trimestriels de la norme actuelle de 80 µg/L pour les THM. Bien que la considération des concentrations de chaque composé THM soit pertinente, les THM sont présents sous forme de mélanges, et, par conséquent, il s'avérerait judicieux de prendre en compte le risque cumulatif. Néanmoins, au regard des concentrations de THM mesurées au Québec, le chloroforme s'avère, de façon générale, un composé représentatif des concentrations de THM totaux.

Auteur(-trice)s
Stéphane Buteau
M. Sc., conseiller scientifique, Institut national de santé publique du Québec
Marie-Hélène Bourgault
M. Sc., conseillère scientifique, Institut national de santé publique du Québec
ISBN (électronique)
978-2-550-58814-6
ISBN (imprimé)
978-2-550-58813-9
Notice Santécom
Date de publication