Portrait et analyse des interventions visant à prévenir les cancers de la peau chez les jeunes de 0 à 18 ans

La réduction de l'incidence des cancers de la peau constitue un objectif du Programme national de santé publique québécois. Pour orienter les activités de prévention des cancers de la peau, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a confié un mandat à l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) qui se décline en trois objectifs :

  1. décrire les caractéristiques des interventions de prévention des cancers de la peau visant les jeunes de 0 à 18 ans ayant été répertoriées au Québec, dans les autres provinces canadiennes et ailleurs dans le monde pour la période allant de 1990 à 2005;
  2. constituer une banque d'interventions de bonne qualité et ayant été démontrées efficaces, et ce, pour divers milieux d'intervention;
  3. dégager des pistes de réflexion au regard du développement et de l'implantation d'interventions en prévention des cancers de la peau chez les jeunes de 0 à 18 ans au Québec.

MÉTHODOLOGIE

Une recherche documentaire a été réalisée dans PubMed afin de repérer les interventions en prévention des cancers de la peau répondant aux critères de recherche établis. Les critères d'inclusion utilisés pour la sélection des interventions étaient 1) la description d'une intervention de prévention et de promotion de la santé en lien avec les UV; 2) l'âge de la population cible, soit entre 0 et 18 ans; 3) la période où l'intervention a été menée, soit entre 1990 et 2005 et finalement; 4) la langue, soit le français ou l'anglais. En ce qui concerne le repérage de la littérature grise pertinente, un questionnaire standardisé conçu pour cette revue de littérature a été diffusé à travers deux réseaux d'acteurs principaux, soit auprès des membres de la Table nationale de concertation en santé environnementale (TNCSE) et ceux du Comité national sur la prévention du cancer de la peau, un comité qui découle de la Stratégie canadienne de lutte contre le cancer. La qualité de toutes les interventions répertoriées a été évaluée à l'aide d'une grille de codification unique. Au terme du processus de codification, de saisie et d'analyse, des interventions dites exemplaires, en raison de leur qualité méthodologique et de leur efficacité, ont été sélectionnées. Les barrières et les facteurs de succès liés à l'implantation des interventions ont également été documentés.

QUELQUES RÉSULTATS

Au Québec

Onze interventions ont été répertoriées pour cette période et deux d'entre elles ont été évaluées. Les services de garde à l'enfance et les milieux récréotouristiques sont les milieux les plus fréquemment ciblés par les interventions. Les rôles joués par divers intervenants issus ces milieux (ex. : animateurs de camps de jour, éducateurs de services de garde à l'enfance) vont de la réception de matériel d'information ou éducatif en vue d'une distribution à leur clientèle, à des rôles plus actifs comme ceux des moniteurs de terrains de jeux et des professeurs chargés d'animer les activités de sensibilisation. Dans 37,5 % des cas, ces intervenants ont été rejoints soit par écrit ou encore de vive voix tandis que dans 62,5 % des cas, ces derniers étaient contactés uniquement par écrit. Les interventions québécoises se limitaient à des activités de sensibilisation qui visaient, pour la plupart, à modifier les connaissances sur les risques à la santé, sur les facteurs de risque et sur les mesures de protection solaire recommandées. La création d'environnements favorables et l'adoption de politiques favorables à la santé n'ont pas été préconisées. Finalement, seulement 25 % des interventions répertoriées se sont développées en faisant appel à des modèles conceptuels ou des théories de changement de comportement.

Au Canada

Sept interventions ont été répertoriées et deux d'entre elles ont été évaluées. L'acquisition d'aptitudes individuelles a été la principale approche de promotion de la santé privilégiée, mais certaines interventions ont aussi fait appel à d'autres approches. En termes de création d'environnements favorables, l'aménagement d'espaces ombragés a été encouragé et des mesures de protection individuelles (ex. : crème solaire) ont été rendues disponibles sur les sites d'exposition. L'adoption de politiques au regard de la protection solaire a également été suggérée dans divers milieux pour deux de ces interventions.

À l'échelle internationale

Soixante articles scientifiques sur 527 ont été retenus. Le milieu scolaire primaire et le milieu familial sont les milieux les plus souvent favorisés dans les publications scientifiques. Quoique représentant une faible proportion des interventions isolées, les services de garde à l'enfance, le milieu préscolaire et les milieux récréotouristiques sont bien représentés dans les interventions communautaires (interventions qui se déroulent dans plusieurs milieux). Les enfants de 6 à 12 ans constituent la clientèle la plus représentée dans les interventions (56,7 %) alors que les nouveau-nés (rejoints par l'intermédiaire des parents) ne comptent que pour 8,3 %. Plusieurs de ces interventions ont choisi pour cible les adolescents et les jeunes adultes, que ce soit dans le milieu secondaire, collégial, universitaire, mais aussi dans certains milieux récréotouristiques, où ils occupent des emplois. Dans 65 % des cas, l'acquisition d'aptitudes individuelles (A) est l'unique approche employée dans les interventions. Cette approche a été combinée à la création d'environnements favorables dans 20 % des interventions (AB), à l'adoption de politiques favorables à la santé dans 3,33 % des interventions (AC) et aux 2 autres approches simultanément (ABC), dans 10 % des cas. Plusieurs des interventions exemplaires présentées dans cette revue de littérature n'ont fait état que de changements modestes, mais les apprentissages qui en découlent sont tout aussi importants. Des recherches supplémentaires y sont aussi proposées afin de mieux documenter certains aspects ou effets de l'intervention.

DISCUSSION

Plusieurs constats émergent de l'analyse des interventions québécoises. Ces derniers, qui ont été validés en 2012 par les représentants de la TNCSE, semblent refléter assez bien la situation actuelle. Ils apportent un éclairage sur divers enjeux caractérisant la situation québécoise en prévention des cancers de la peau. Sans en faire une liste exhaustive, les principaux enjeux identifiés sont : l'efficience, la méconnaissance de l'efficacité des interventions implantées et de la durabilité des effets, les messages parfois moralisateurs et centrés sur l'individu, les messages et outils non spécifiques aux clientèles visées, le manque de stratégies globales d'intervention et la méconnaissance des milieux d'intervention. Ces enjeux, et d'autres non spécifiés ici, ont alimenté la réflexion sur les meilleures pratiques en prévention des cancers de la peau et guidé la conclusion.

CONCLUSION

Des efforts importants de sensibilisation de la population face aux dangers que représentent les rayons ultraviolets (UV) ont été consentis au Québec depuis les années 1990. Toutefois, il appert que les stratégies de prévention mises de l'avant devraient être révisées et même complètement renouvelées dans certains cas. L'analyse de ces interventions a mis au jour plusieurs préoccupations qui permettront de guider les décideurs et intervenants de santé publique dans l'élaboration d'un plan d'action provincial.

Structurer les actions en prévention des cancers de la peau au Québec

Un mécanisme intersectoriel, visant à coordonner les actions de prévention au niveau provincial, apparaît comme un élément structurant à considérer. En plus de supporter les directions de santé publique et le MSSS dans leur mandat de prévention, ce mécanisme assurerait une cohérence et une concertation dans les actions déployées. Pour pallier le manque de ressources tant financières qu'humaines, les divers partenaires pourraient contribuer ensemble au développement d'un programme provincial dans lequel seraient élaborés divers projets d'intervention de type clé en main. Des professionnels ayant une expertise en promotion de la santé et dans les stratégies de changement de comportements devraient être consultés à des étapes charnières du développement de ces interventions. Les ressources et les outils d'intervention existants déjà devraient circuler davantage entre les diverses organisations concernées. Finalement, il est capital de développer, au Québec, une culture de la mesure pour assurer la pérennité des interventions efficaces.

Développement d'interventions

Une démarche structurée de planification devrait être adoptée lors du développement de nouvelles interventions. L'établissement d'objectifs clairs et spécifiques, de même qu'une analyse du contexte d'intervention et du public cible (ex. : caractéristiques socioéconomiques et l'origine ethnique), seraient des éléments minimaux à considérer. Il pourrait aussi être opportun de recourir à des sondages pour connaître les habitudes d'exposition et de protection face au rayonnement UV, de même que les déterminants de ces comportements. Le développement d'interventions sur les plages est suggéré, ce qui permettrait de rejoindre les familles et les adolescents qui s'exposent au rayonnement UV. Les milieux secondaire et collégial devraient également être ciblés de manière à réduire l'utilisation des appareils de bronzage et l'exposition intentionnelle au rayonnement UV à l'extérieur. Finalement, il serait bien de s'assurer que les interventions mises en place couvrent les périodes-clés de l'exposition au rayonnement UV, qu'il soit d'origine naturelle ou artificielle (ex. : vacances d'été, vacances dans le sud pendant la période des fêtes, semaine de relâche, bal de finissants, etc.).

Types d'interventions, contenus et messages à véhiculer

Les activités de sensibilisation développées devraient être combinées à la création d'environnements favorables et à l'adoption de politiques favorables à la santé. Il demeure important de transmettre des connaissances à la population sur les mesures de protection individuelles et les facteurs de risque, mais aussi d'agir sur d'autres paramètres qui influencent les comportements (ex. : efficacité personnelle, barrières à l'utilisation des mesures de protection). Chez les adolescents, les effets néfastes du rayonnement UV sur la peau, en particulier le photovieillissement, semblent être une avenue d'intervention prometteuse. De l'information non biaisée au sujet de la vitamine D devrait également être élaborée et diffusée pour éviter la confusion dans les messages de prévention véhiculés à la population. Les interventions développées devraient aussi prendre en considération les facteurs liés aux inégalités sociales de santé, notamment en ce qui a trait aux mesures de protection solaire recommandées. L'acceptabilité de ces mesures devrait aussi être documentée. Finalement, il est important de prévoir le développement d'interventions et d'outils qui s'adressent à des clientèles et des contextes spécifiques.

Implantation des interventions

Les organisations partenaires ciblées dans les milieux d'intervention visés doivent être impliquées dès le départ (séances d'information et d'échanges) en vue de contribuer aux principales étapes conduisant à l'implantation d'une intervention. Afin de susciter leur intérêt, des interventions peuvent être proposées dans une perspective de santé publique plus large en associant la prévention des cancers de la peau à d'autres problématiques connexes (ex. : changements climatiques, troubles liés à l'image corporelle).

En résumé, un plan d'action provincial en prévention des cancers de la peau devra prévoir un continuum d'interventions structurées, spécifiques et diversifiées prenant racine dès l'enfance pour se poursuivre durant l'adolescence, et ce, à travers plusieurs milieux d'intervention.

Auteur(-trice)s
Marie-Christine Gervais
M. Sc., conseillère scientifique, Institut national de santé publique du Québec
Marc Rhainds
Institut national de santé publique du Québec
Type de publication
ISBN (électronique)
978-2-550-67915-8
ISBN (imprimé)
978-2-550-67914-1
Notice Santécom
Date de publication