Utilisation d'un vaccin antipneumococcique conjugué au Québec

Les enfants et particulièrement ceux de moins de 2 ans présentent un risque important d'infections à pneumocoque. Elles se manifestent surtout par la bactériémie, la méningite, la pneumonie et l'otite moyenne aiguë. Les taux d'infections pneumococciques invasives les plus élevés surviennent chez les jeunes enfants. Le taux d'incidence d'infections invasives à pneumocoque est maximal chez les enfants âgés entre 6 et 11 mois; il est estimé à 118 cas par 100 000 annuellement pour les nourrissons québécois. Pour les otites moyennes aiguës, l'incidence atteint 118 cas par 100 personnes-années dans ce même groupe, et on considère que 30 à 40 % des otites sont causées par le pneumocoque. Bien que tous les jeunes enfants du Québec soient à risque, ceux du Nunavik sont particulièrement vulnérables à ces infections. Le taux annuel d'infections invasives des enfants du Nunavik de moins de 2 ans s'élève à 458 pour 100 000 pour la période entre 1997 à 2001. Plusieurs d'entre eux en gardent des séquelles. Le fardeau économique de ces infections est élevé; on considère que le coût sociétal des infections pneumococciques pour une cohorte de 75 000 enfants québécois âgés entre 6 mois et 9 ans est de 28 millions de dollars. Cette cohorte correspond au nombre d'enfants d'une cohorte de naissance.

Le vaccin antipneumococcique polysaccharidique, jusqu'à maintenant disponible et utilisé dans le cadre du programme provincial de vaccination contre le pneumocoque, ne pouvait apporter aucune protection chez les moins de 2 ans. L'arrivée du vaccin antipneumococcique conjugué (VAPC) à 7 sérotypes de S. pneumoniae, très efficace pour les nourrissons, vient offrir une nouvelle voie pour la prévention des infections à pneumocoque. En effet, des essais cliniques récents avec le VAPC ont montré l'efficacité du vaccin. L'efficacité pour la prévention des infections invasives a été établie à au moins 94 %, pour la prévention des pneumonies avec consolidation démontrée par radiographie à 73 %, pour la prévention des otites moyennes aiguës à 6 %, et pour la prévention du recours à la paracentèse et l'installation de drain transtympanique à 20 %. De plus, le VAPC est sécuritaire. Comme le vaccin se donne en quatre doses (2-4-6 et 12 ou 15 mois) et qu'il se vend actuellement à environ 100 $ la dose en pharmacie, il s'avère alors inaccessible pour une portion considérable de la population, à moins qu'il ne soit offert gratuitement à l'intérieur du programme d'immunisation québécois.

Les organismes officiels canadien (Comité consultatif sur l'immunisation) et américains (Advisory Committee on Immunization Practices et American Academy of Pediatrics) recommandent la vaccination avec le VAPC de tous les enfants de 2 à 23 mois. Il est aussi recommandé de vacciner les enfants de 24 à 59 mois qui sont à risque plus élevé d'infections pneumococciques, dont les enfants avec anémie falciforme ou porteurs de l'infection par le VIH. De plus, on recommande de considérer la vaccination de tous les enfants de 24 à 59 mois, la vaccination de certains groupes d'enfants, comme ceux des communautés autochtones des régions nordiques, devant être envisagée en priorité. C'est pourquoi le Comité sur l'immunisation du Québec a mandaté le Groupe de travail sur le VAPC pour étudier les divers aspects de l'intégration éventuelle du VAPC dans le programme d'immunisation québécois.

Recommendations du Groupe de travail sur le VAPC

Comme le statu quo a semblé inacceptable au Groupe de travail sur le VAPC, divers scénarios de vaccination gratuite ont été examinés. Le tableau suivant résume les populations ciblées et les estimations de coûts de chacun de ces scénarios.

Paramètres des scénarios
Scénarios envisagés
Vaccination sélective des grands prématurés et d'enfants atteints de maladies chroniques Vaccination des enfants du Nunavik Vaccination universelle des nouveau-nés québécois Vaccination de rattrapage de tous les enfants québécois de moins de 5 ans1
Estimé de la taille de la population d'enfants visés 4 500 enfants annuellement et 22 500 pour le rattrapage 275 enfants annuellement et 1 650 enfants pour le rattrapage 75 000 enfants annuellement 75 000 enfants par cohorte de naissance à vacciner une fois
Couverture vaccinale projetée 50 % 95 % 80 % 80 %
Coût sociétal total estimé du scénario ($) 677 000 $ annuellement et 1 947 100 $ pour le rattrapage 78 700 $ annuellement et 167 400 $ pour le rattrapage 15,6 M$ annuellement 30 M$ une fois, lors du lancement
Coût d'achat du vaccin 607 500 $ annuellement et 1 747 600 $ pour le rattrapage 70 600 $ annuellement et 150 200 $ pour le rattrapage 13,7 M$ annuellement 21,5 M$ une fois, lors du lancement
Autres coûts 69 500 $ annuellement et 199 500 $ pour le rattrapage 8 100 $ annuellement et 17 200 $ pour le rattrapage 1,9 M$ annuellement 8,5 M$ une fois, lors du lancement

Les cinq premières recommandations du Groupe de travail sur le VAPC sont présentées en ordre de priorité de mise en oeuvre.

  1. Instaurer la vaccination gratuite sélective avec le VAPC des grands prématurés et des enfants de moins de 5 ans atteints de conditions médicales chroniques où l'incidence des infections pneumococciques est plus grande.
  2. Introduire gratuitement le VAPC au calendrier de vaccination régulier des nouveau-nés du Nunavik.
  3. Instaurer gratuitement la vaccination de rattrapage des enfants de moins de 5 ans du Nunavik.
  4. Instaurer la vaccination gratuite universelle avec le VAPC de tous les nouveau-nés québécois.
  5. Instaurer la vaccination gratuite de rattrapage avec le VAPC de tous les enfants québécois de moins de 5 ans.

L'introduction de la vaccination universelle des nouveau-nés dans le calendrier régulier permettrait de réduire les infections invasives de 60 %, les pneumonies avec hospitalisation de 33 % et les otites moyennes aiguës de 6 %. Le coût net pour la société du programme a été évalué à 112 $ par personne vaccinée. Le coût net pour la société est estimé à 125 000 $ par année de vie gagnée et à 116 000 $ par année de vie gagnée ajustée pour la qualité.

La vaccination de rattrapage est moins avantageuse à plusieurs égards. Elle est plus complexe à instaurer car plusieurs enfants ne peuvent être rejoints par les activités régulières de vaccination. Il faut ajouter des visites, ce qui contribue à rendre cette vaccination difficile à réaliser d'un point de vue logistique. Par conséquent, on considère qu'elle devrait s'opérer sur une courte période afin de contrer les obstacles organisationnels et offrir rapidement une protection aux plus jeunes. De plus, la vaccination de rattrapage ajoute relativement peu aux réductions de maladies, puisque l'incidence des infections pneumococciques diminue avec l'âge, ce qui est surtout vrai pour les infections invasives qui sont beaucoup moins importantes après l'âge de 2 ans. Les indicateurs économiques de ce scénario sont aussi moins intéressants. Le coût net pour la société est supérieur à 201 000 $ par année de vie gagnée ou par année de vie gagnée ajustée pour la qualité, peu importe que la vaccination de rattrapage vise des enfants plus jeunes (entre 7 et 11 mois) ou plus vieux (entre 24 et 59 mois).

Les recommandations suivantes visent à soutenir la mise en oeuvre d'un éventuel programme de vaccination gratuite avec le VAPC.

  1. Prévoir l'allocation de ressources financières pour la mise en oeuvre d'un programme avec le VAPC, en plus des ressources nécessaires à l'achat des vaccins.
  2. Si les scénarios de vaccination universelle ou de rattrapage sont retenus, former un comité pour leur implantation.
  3. Prévoir un programme de promotion du VAPC en mettant l'accent notamment sur l'importance du problème des infections pneumococciques et sur l'innocuité de donner deux injections de vaccins lors d'une même visite.
  4. Prévoir l'allocation de ressources pour la promotion du VAPC.
  5. Produire des outils de promotion adaptés aux différents publics impliqués dans la vaccination avec le VAPC.
  6. Créer du matériel promotionnel afin de soutenir les parents dans leur décision de donner le VAPC à leur enfant.
  7. Créer du matériel promotionnel afin de soutenir les vaccinateurs dans leur démarche d'offre du VAPC.
  8. Prévoir un programme de formation sur le VAPC des vaccinateurs et professionnels qui sont appelés à recommander ce vaccin, en mettant l'accent notamment sur l'innocuité de donner deux injections de vaccins lors d'une même visite, et en renforçant leurs habiletés à expliquer aux parents le bien-fondé de cette façon de faire.
  9. Produire du matériel pour la formation des vaccinateurs relativement au VAPC.
  10. Assortir tous les scénarios de vaccination de mesures permettant un enregistrement adéquat des vaccins administrés, et particulièrement pour le programme instauré au Nunavik.
  11. Suivre les manifestations cliniques inhabituelles associées à la vaccination avec le VAPC.
  12. Assurer une gestion optimale des VAPC afin de minimiser les pertes.

Enfin, les dernières recommandations du Groupe de travail sur le VAPC concernent des questions de recherches prioritaires à résoudre, l'évaluation adaptée aux scénarios retenus dans un futur programme de vaccination avec le VAPC, et la surveillance du pneumocoque.

  1. Débuter dès que possible des études afin de déterminer des calendriers de vaccination avec un nombre réduit de doses. Le Groupe de travail sur le VAPC est d'avis que les études sur des calendriers de vaccination avec un nombre réduit de doses devraient être réalisées, parallèlement à l'application des recommandations de vaccination universelle ou de rattrapage. On devrait alors débuter la vaccination universelle ou de rattrapage avec le VAPC, quitte à corriger les calendriers de vaccination par la suite, une fois les résultats des études publiés. Cette attitude semble d'autant plus raisonnable qu'on ne peut être assuré que les résultats des études viendront confirmer qu'on peut protéger les enfants adéquatement avec un calendrier à nombre de doses réduit. À cet égard, la situation de pénurie du VAPC qui prévaut aux États-Unis pourrait apporter certaines réponses, puisqu'elle oblige à offrir temporairement aux enfants un calendrier de vaccination avec un nombre réduit de doses.
  2. Évaluer de manière rigoureuse les impacts de la vaccination des enfants du Nunavik, notamment sur les infections invasives et sur les atteintes otologiques des enfants. Il est impératif de prévoir les recherches évaluatives adéquates, puisque la vaccination avec le VAPC au Nunavik représente une opportunité unique d'apprécier l'efficacité d'une mesure de santé publique.
  3. Dans l'éventualité où les scénarios de vaccination universelle ou de rattrapage étaient retenus, former un comité pour l'évaluation du programme d'immunisation avec le VAPC.
  4. Évaluer les échecs vaccinaux.
  5. Évaluer l'efficacité du VAPC sur une base populationnelle.
  6. Connaître l'acceptabilité du VAPC par les parents et les vaccinateurs.
  7. Continuer à surveiller les infections à pneumocoque dans les MADO et par le Programme de surveillance du pneumocoque en laboratoire.

1Les coûts présentés dans ce scénario correspondent aux coûts estimés pour une cohorte de naissance d'enfants. Il ne s'agit pas du coût pour l'ensemble des 375 000 enfants de moins de 5 ans qui serait alors supérieur aux estimations présentées ici.

ISBN (imprimé)
2-550-41417-9
Notice Santécom
Date de publication