Épidémiologie des maladies reliées à l'exposition à l'amiante au Québec

Sous l'égide du Comité aviseur sur l'amiante au Québec, le sous-comité sur l'épidémiologie des maladies reliées à l'exposition à l'amiante a fait le bilan des données épidémiologiques québécoises disponibles sur ces maladies. Le sous-comité a aussi effectué différentes études pour combler certaines des lacunes identifiées lors de l'analyse des données disponibles. Voici les principaux constats qui découlent de ces travaux.

Rappelons d'abord que l'amiante cause trois principaux effets sur la santé : le mésothéliome de la plèvre et du péritoine, le cancer pulmonaire et l'amiantose. Toutes ces maladies apparaissent après une latence qui varie entre 20 et 40 ans selon la pathologie. De plus, tous les types d'amiante ont été associés aux trois maladies1.

Au Québec, de 1982 à 1996, 832 personnes (655 hommes et 177 femmes) ont eu un premier diagnostic de mésothéliome de la plèvre. Ceci correspond à un taux annuel moyen d'incidence de 1,49 pour 100 000 personnes-années chez les Québécois et 0,32 pour 100 000 personnes-années chez les Québécoises2. Ces taux sont respectivement 9,5 et 2 fois plus élevés que le taux observé chez les Canadiennes (considérées non ou peu exposées à l'amiante) et ces excès sont statistiquement significatifs3. Par rapport à la communauté internationale, les hommes du Québec ne sont dépassés que par plusieurs comtés du Royaume-Uni, par plusieurs états de l'Australie et par plusieurs régions des Pays-Bas2.

Les taux d'incidence des mésothéliomes de la plèvre augmentent de façon significative entre 1982 et 1996 chez les Québécois avec un taux de croissance annuel moyen de 5 %. Chez les Québécoises le taux de croissance est de 3 % et il n'est pas statistiquement significatif2. Cette augmentation se manifeste chez les hommes âgés de 60 ans et plus. Par ailleurs les taux semblent stables chez les Québécois de moins de 60 ans. La cohorte des Québécois nés entre 1930 et 1939, donc qui a commencé à travailler à l'époque de l'utilisation plus marquée de l'amiante, présente des taux de ce cancer plus élevés que les autres cohortes de Québécois. Les données suggèrent aussi une diminution du risque chez les cohortes nées après 1940, mais il est encore trop tôt pour conclure parce que les personnes de ces groupes sont encore jeunes3. Deux régions du Québec, celles de Chaudière- Appalaches et de la Montérégie, montrent des excès statistiquement significatifs de mésothéliome de la plèvre. Elles possèdent ou ont possédé dans le passé des chantiers navals et on exploite en plus des mines d'amiante dans la première région2.

Les mésothéliomes du péritoine sont encore moins fréquents que les mésothéliomes de la plèvre2 et ils présentent la particularité d'être associés à l'exposition à l'amiante de type amphibole1. Entre 1984 et 1996, 63 Québécois et 45 Québécoises ont eu un premier diagnostic de ce cancer. Les taux sont stables durant la période de l'étude et aucune région ne montre d'excès de ce cancer2.

La mortalité par ces deux cancers ne peut être évaluée directement car, au Québec, les certificats de décès ne permettent pas de distinguer les mésothéliomes des autres types histologiques de cancer de la plèvre et du péritoine. Notons cependant que les taux de mortalité par cancer de la plèvre augmentent de façon statistiquement significative chez les Québécois entre 1981 et 1996 et qu'un excès de décès par ce cancer est observé dans la région de Chaudière-Appalaches2.

Les cas de mésothéliome et de cancer du poumon dont l'origine professionnelle a été déterminée par les Comités mis en place à cette fin pour la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) ne représentent respectivement que 22 % et 0,3 % des cas enregistrés au Fichier des tumeurs du Québec4. Or, la littérature médicale montre que l'on retrouve une exposition à l'amiante dans 70 % à 90 % des cas de mésothéliome chez les hommes5. La littérature montre également que le pourcentage de cas de cancer du poumon attribuable à l'exposition à l'amiante chez les hommes varie entre 0,5 % et 15 % selon la prévalence de l'exposition dans les populations étudiées6. Nous avons aussi constaté que les 1 333 Québécois et les 53 Québécoises hospitalisés une première fois avec un diagnostic principal ou secondaire d'amiantose entre 1987 et 1996 sont 4 fois plus nombreux que les cas de cette maladie reconnus à la CSST durant la même période de temps4.

Si l'on considère maintenant l'état de santé de la population de la région des mines d'amiante, on constate que les maladies découlant de l'exposition à cette fibre ont été étudiées dès les années 1960. Les premières études montraient des fréquences plus élevées de ces maladies, surtout chez les hommes. La santé des femmes avait peu été abordée dans ces publications7.

Une série d'études récentes a permis de documenter quelques aspects de l'exposition et de la santé des femmes de cette région. Leur niveau d'exposition cumulative à l'amiante au cours des 50 dernières années a été estimé en moyenne à environ 25 fibres/ml-années8,9. Ces données ont été utilisées pour valider le modèle d'évaluation du risque de l'incidence du mésothéliome et de la mortalité par cancer du poumon de l'Environmental Protection Agency des États-Unis. Les modèles surestimeraient par un facteur d'environ 60 le risque de mésothéliome10,11 et par un facteur d'au moins 10 le risque de cancer du poumon12.

Une étude cas-témoins des femmes chez qui on a diagnostiqué un mésothéliome dans l'agglomération de Thetford Mines entre 1970 et 1989 a montré un risque très élevé (environ 30) de développer ce cancer suite à une exposition professionnelle à l'amiante. Ce risque était statistiquement significatif, mais il comportait une marge d'incertitude importante. L'étude a aussi permis de montrer que le risque de mésothéliome augmente de 2 % à 5 % par fibre/ml-année d'exposition chez ces femmes quelle que soit la mesure de leur exposition à l'amiante (professionnelle, domestique ou résidentielle)13.

Nous disposons d'information relativement complète sur les maladies reliées à l'exposition à l'amiante chez les travailleurs exposés dans les mines d'amiante du Québec. Cependant, les données sont fragmentaires pour les travailleurs des secteurs de la transformation de l'amiante et pour ceux de la construction.

La santé respiratoire des mineurs d'amiante du Québec a été étudiée depuis 1958 et a fait l'objet de nombreux débats scientifiques, politiques et sociaux. La mortalité d'une cohorte de près de 11 000 travailleurs des mines et moulins d'amiante et d'une usine de transformation située sur le territoire des mines a été suivie jusqu'en 1992. Ces travailleurs présentaient un excès de décès par mésothéliome par rapport à la population québécoise et le risque de cancer pulmonaire atteignait 2 parmi les travailleurs exposés plus fortement et plus longtemps à l'amiante. Plusieurs cas d'amiantose ont aussi été documentés parmi ceux-ci7. Les travailleurs de ces régions font actuellement l'objet d'un dépistage obligatoire de l'amiantose. Cependant, les données provenant de ces activités n'ont pas pu être analysées dans le cadre des travaux du sous-comité.

Les données sont plus rares pour les travailleurs de la transformation de l'amiante. Les publications antérieures n'ont permis d'identifier que quatre usines de ce type au Québec : deux usines de fabrication de filtres à base d'amiante pour les masques à gaz durant la deuxième guerre mondiale (une à Montréal et l'autre à Asbestos), une usine à Valleyfield produisant des courroies contenant de l'amiante destinées à des usines de papier et une usine de produits d'isolation et de ciment dans la région de Montréal. Toutes ces entreprises ont généré des maladies reliées à l'exposition à l'amiante14-17. Une autre étude dans la région de Montréal identifiait aussi des cancers du poumon et des mésothéliomes17,18.

Entre 1992 et 1997, une étude de 23 usines de transformation de l'amiante de la région de Montréal a montré que 7 d'entre elles (30 %) présentaient des problématiques en référence à des dépassements des normes d'exposition à l'amiante19. Le dépistage de l'amiantose effectué auprès de 304 travailleurs de 5 des 7 usines à problèmes a révélé deux cas d'anomalies compatibles avec un diagnostic d'amiantose dont une confirmée et une possible. De plus, un troisième travailleur avait reçu le diagnostic de cette maladie en 199020.

Les premiers travailleurs de la construction chez qui on a documenté des maladies reliées à l'amiante sont les calorifugeurs. Une publication de 1981 en fait foi21. Les dépistages entrepris en 1995 et dans les années subséquentes auprès de près de 1 500 travailleurs de différents métiers de la construction ont permis d'identifier plus d'une vingtaine de cas d'anomalies compatibles avec un diagnostic d'amiantose et près de 25 % d'anomalies pleurales parmi ces travailleurs22,23.

Entre 1988 et 1997, le Comité spécial des présidents a déterminé l'origine professionnelle d'une maladie reliée à l'exposition à l'amiante chez 691 travailleurs (378 amiantoses, 191 mésothéliomes et 209 cancers du poumon). L'analyse de ces données nous apprend que le secteur des mines génère encore le plus de cas de ces maladies (35 %), le plus d'amiantose (32 %) et le plus de cancer du poumon (62 %). Le fort pourcentage de cas de cancer pulmonaire provenant des mines soulève l'hypothèse d'une faible reconnaissance de l'exposition à l'amiante dans les autres secteurs par les travailleurs et les médecins, peut-être parce qu'il est plus facile d'attribuer un cancer du poumon au tabagisme, chez un fumeur, que de reconnaître une exposition à l'amiante en dehors du secteur minier24.

Cependant, si l'on regroupe ensemble les travailleurs du secteur de la construction (17 % des cas) et ceux du secteur de l'entretien et de la réparation de produits et de structures contenant de l'amiante (25 % des cas), ces deux groupes réunis expliquent 42 % de l'ensemble des 691 cas et 53 % des cas de mésothéliome, surpassant ainsi le secteur minier24.

Le nombre de réclamations a augmenté entre 1988 et 1997, particulièrement dans les secteurs de la construction et de la réparation et de l'entretien.

Finalement, les coûts d'indemnisation à la CSST pour 691 travailleurs étudiés se chiffrent à au moins 66,2 millions de dollars non actualisés24. Les coûts directs et indirects engendrés par les maladies reliées à l'exposition à l'amiante au Québec mériteraient d'être documentés par une étude plus approfondie.

Les conclusions et les recommandations peuvent être consultées à la fin du document. Les faits saillants des études réalisées par le sous-comité sont présentés en annexe.


1Camus M. Document synthèse sur l'amiante préparé pour le Comité aviseur sur l'amiante du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec; octobre 2001.

2Lebel G, Gingras S, Lévesque B. Épidémiologie descriptive des principaux problèmes de santé reliés à l'exposition à l'amiante au Québec. Beauport : Unité de recherche en santé publique, Centre de recherche du CHUL; octobre 2001.

3Camus M. Comparaisons et tendances de l'incidence des mésothéliomes de la plèvre et du péritoine au Québec et au Canada; décembre 2001.

4Lebel G, Gingras S, Lévesque B. Analyse de l'appariement des cas de mésothéliome de la plèvre et de cancer du poumon diagnostiqués par la CSST et par l'Institut Armand-Frappier avec le Fichier des tumeurs du Québec, MSSS. Beauport : Unité de recherche en santé publique, Centre de recherche du CHUL; octobre 2001.

5Health Effects Institute-Asbestos Research. Asbestos in public and commercial buildings: a literature review and synthesis of current knowledge - Final report. Cambridge : Health Effects Institute - Asbestos Research; 1991.

6INSERM. Effets sur la santé des principaux types d'exposition à l'amiante. Paris : Les Éditions INSERM; 1997.

7Siemiatycki J, Campbell S, Richardson L. Projets de recherche épidémiologique réalisés au Québec dans le domaine de l'amiante. Laval : Institut Armand-Frappier, Université du Québec; octobre 2001.

8 Siemiatycki J, Camus M, Case B, Richardson L. Collecte de données pour les études de l'équipe de l'Institut Armand-Frappier sur l'épidémiologie du mésothéliome chez les femmes au Québec, 1970-1989. Laval : Institut Armand-Frappier, Université du Québec; octobre 2001.

9 Camus M. Évaluation des expositions à l'amiante des résidantes des agglomérations d'Asbestos et de Thetford Mines en fonction des besoins du modèle de prévision de risque du mésothéliome. Laval : Institut Armand-Frappier, Université du Québec; octobre 2001.

10 Camus M, Siemiatycki J. Évaluation des modèles de risque de l'EPA pour le mésothéliome suite aux expositions à l'amiante. Laval : Institut Armand-Frappier, Université du Québec; octobre 2001.

11 Camus M. Évaluation du modèle exposition risque de l'EPA prédisant le risque de mésothéliome résultant d'expositions à l'amiante. Laval : Institut Armand-Frappier, Université du Québec; octobre 2001.

12 Camus M, Siemiatycki J, Meek B. Nonoccupational exposure to chrysotile asbestos and the risk of lung cancer. New Engl J Med 1998; 338 : 1565-71.

13 Siemiatycki J, Camus M, Parent ME, Désy M, Case B. Étude cas-témoins sur le mésothéliome chez les femmes de la région de l'amiante. Laval : Institut Armand-Frappier, Université du Québec; octobre 2001.

14 McDonald AD, McDonald JC. Mesothelioma after crocidolite exposure during gas mask manufacture. Environmental research 1978; 17 : 340-6.

17 Siemiatycki J, ed. Risk factors for cancer in the workplace. Boca Raton : CRC Press; 1991.

18 Laplante O, Parent ME, Siemiatycki J. Risque de mésothéliome et de cancer du poumon associés à l'exposition professionnelle à l'amiante selon le type de fibres (Montréal, 1979-85). Laval : Institut Armand-Frappier, Université du Québec; mars 2002.

19 Simard R. Bilan de situation concernant l'exposition à l'amiante dans l'industrie de la transformation à Montréal-Centre. Montréal : Régie régionale de la santé et des services sociaux de Montréal-Centre, Direction de la santé publique; septembre 1998.

20 Auger N, Simard R. Industrie de la transformation de l'amiante dans l'île de Montréal : proposition d'un programme de contrôle de l'exposition à l'amiante. Montréal : Régie régionale de la santé et des services sociaux de Montréal-Centre, Direction de la santé publique; novembre 2001. Rapport interne.

21 Myre M. Les calorifugeurs de la province de Québec : causes de mortalité. Union médicale du Canada 1981; 110 : 362-7.

22 De Guire L, Binet J, Boucher S, Rossignol M, Bonvalot Y. Prévalence des anomalies pulmonaires consécutives à l'exposition à l'amiante parmi un groupe de : tuyauteurs-plombiers, tôliers-ferblantiers, mécaniciens d'ascenseur, mécaniciens en protection des incendies et calorifugeurs. Montréal : Régie régionale de la santé et des services sociaux de Montréal-Centre, Direction de la santé publique; février 2000.

23 De Guire L, Binet J, Nadeau D. Programme intégré d'intervention sur l'amiante dans la construction : prévalence des anomalies pulmonaires dépistées lors des travaux de construction des entreprises Magnola et Alcan. Montréal : Régie régionale de la santé et des services sociaux de Montréal-Centre, Direction de la santé publique; septembre 2000.

24Provencher S, De Guire L. Étude des nouveaux cas de maladies professionnelles pulmonaires reliées à l'exposition à l'amiante au Québec de 1988 à 1997. Montréal : Régie régionale de la santé et des services sociaux de Montréal-Centre, Direction de la santé publique; mai 2001.

Note(s)

Ce document est complémentaire au rapport scientifique Fibres d'amiante dans l'air intérieur et extérieur.

Un résumé est également disponible.

Auteur(-trice)s
Louise De Guire
M.D., Institut national de santé publique du Québec
Germain Lebel
M. A., M. Sc., conseiller scientifique, Direction de la santé environnementale et de la toxicologie
Benoît Lévesque
M.D., M. Sc., FRCPC, médecin spécialiste, Direction de la santé environnementale et de la toxicologie
ISBN (imprimé)
2-550-41560-4
Notice Santécom
Date de publication