Surveillance de la lutte contre le cancer du sein : évolution, entre 1993 et 1998, de l'étendue de la maladie au moment du diagnostic, des procédures d'investigation, du traitement et de la survie relative

Le cancer du sein demeure le cancer le plus fréquemment diagnostiqué chez les femmes du Québec et constitue, de ce fait, un des grands défis du système de santé québécois. Malgré cela, peu de données sont disponibles à l'échelle de la population du Québec pour suivre les progrès dans la lutte à ce cancer.

Cette étude mesure les progrès accomplis au regard de la détection précoce des cancers du sein, de l'investigation et du traitement des cancers du sein et de la survie au cancer du sein au Québec, entre 1993 et 1998. Elle brosse donc un portrait de la situation qui prévalait au moment de la diffusion du Programme québécois de lutte contre le cancer et à l'aube de l'implantation du Programme québécois de dépistage du cancer du sein.

Nous avons constitué un échantillon aléatoire de 912 cas de cancer du sein déclarés au Québec en 1993 et un autre de 1143 cas déclarés en 1998. Ces échantillons incluent, respectivement, 24 % et 22 % de l'ensemble des cas déclarés au Fichier des tumeurs du Québec en 1993 et en 1998. Les données proviennent des grandes banques de données informatisées du Québec et des dossiers médicaux. Les deux mêmes archivistes ont procédé à l'ensemble de la collecte des informations dans les dossiers médicaux, à l'aide d'un formulaire standardisé. Nous avons, d'une part, évalué l'étendue de la maladie au moment du diagnostic et les patrons d'investigation et de traitement des nouveaux cas de cancer du sein. Les patrons d'investigation et de traitement furent analysés à la lumière des principaux guides de pratique diffusés au Québec dans les années 1990. D'autre part, nous avons estimé la survie relative brute, ajustée pour la sévérité de la maladie et propre à chaque stade. Nous avons aussi comparé les probabilités de décès par cancer du sein des cas de 1993 et de 1998 en procédant par modélisation mathématique. Pour mesurer les tendances temporelles, nous avons calculé l'intervalle de confiance à 95 % de la différence entre la valeur mesurée en 1993 et en 1998. Lorsque cela était approprié, nous avons pratiqué des tests de Chi-carré exact. Nous avons estimé les probabilités de survie relative selon la méthode décrite par Ederer. Pour modéliser les probabilités de décès par cancer du sein, nous avons employé la méthode décrite par Hakulinen et Tenkanen.

Résultats

Entre 1993 et 1998, nous observons au Québec une légère amélioration de la précocité du diagnostic de cancer du sein. Les proportions de cancer de type in situ, de cancer infiltrant avec une tumeur de 1cm ou moins et de cancer infiltrant avec un stade I ou II au diagnostic augmentent toutes entre les deux années. En 1998, 91,1 % des nouveaux cancers du sein étaient de stade I ou II au moment du diagnostic, ce qui se compare avantageusement à la répartition des cancers du sein infiltrants aux États-Unis à la même époque.

Au regard de l'investigation des carcinomes canalaires in situ, nous notons une nette augmentation, entre 1993 et 1998, de la fréquence avec laquelle le grade nucléaire, le statut des récepteurs hormonaux et le statut des marges sont documentés au dossier. De même, nous notons une importante diminution du nombre de cas soumis à une dissection axillaire tel que le recommandent les guides cliniques. Toutefois, en 1998, la taille de la tumeur et le statut des marges manquent dans, respectivement, 25 % et 16 % des dossiers et seulement 10,9 % des dossiers comptaient à la fois une mention de la taille, du grade, du statut des récepteurs hormonaux et des marges.

Au regard de l'investigation des cancers du sein infiltrants, entre 1993 et 1998, il y a eu d'importantes augmentations de la mention au dossier médical du grade, du statut des récepteurs hormonaux, de l'envahissement vasculaire et lymphatique et du statut des marges, suggérant que les cliniciens considéraient de plus en plus ces facteurs importants dans le choix du traitement. Par contre, en 1998, encore 43 % des femmes avec un cancer du sein infiltrant avaient moins de 10 ganglions axillaires examinés. Également, l'envahissement vasculo-lymphatique et le stade TNM manquaient à, respectivement, 50 % et 30 % des dossiers et seulement 29,5 % des dossiers comptaient des informations simultanément sur la taille, l'envahissement ganglionnaire, le grade, les récepteurs hormonaux, l'envahissement vasculo-lymphatique et le statut des marges. Une étude australienne, utilisant des indicateurs similaires aux nôtres et examinant la même période, mesure des fréquences de mention au dossier plus élevées qu'au Québec pour 5 des 6 indicateurs communs aux deux études.

Au regard des traitements, en 1998, 91,4 % des femmes avec un cancer du sein in situ et 76,7 % de celles avec un cancer infiltrant furent traitées par mastectomie partielle. Parmi celles avec un cancer du sein infiltrant traitées par mastectomie partielle, 83,6 % reçurent de la radiothérapie postopératoire. De même, 94,1% des patientes préménopausées avec des ganglions positifs recevaient de la chimiothérapie, alors que 80,2% des patientes postménopausées avec des ganglions et des récepteurs hormonaux positifs recevaient de l'hormonothérapie. Les cliniciens québécois recourent nettement plus à la chirurgie mammaire conservatrice que leurs confrères du reste du Canada, des États-Unis, d'Angleterre et d'Australie. Quant à l'usage des traitements adjuvants locaux et systémique, il est comparable au Québec à ce qui fut mesuré ailleurs.

La probabilité de survie relative à 5 ans des femmes avec un cancer du sein infiltrant était de 84,2 % pour la cohorte 1993 et de 85,8 % pour celle de 1998. Comme prévu la survie décroît considérablement à mesure que la sévérité de la maladie augmente, passant, en 1998, de 97,4 % dans le groupe des tumeurs précoces (T1N0M0) à 17,3 % dans le groupe des tumeurs métastatiques (M1). Les survies relatives à 5 ans mesurées ici pour l'ensemble de la population et pour chaque sous-groupe défini selon le stade de la maladie ressemblent à celles mesurées dans le reste du Canada, aux États-Unis et en Europe à la même période. Enfin, nous avons observé que la cohorte de 1998 jouissait d'un léger avantage, non significatif au plan statistique, de survie à 5 ans par rapport à la cohorte de 1993. Toutefois, après ajustement pour la sévérité de la maladie et l'ampleur des investigations pratiquées pour caractériser les cas, les risques de décès à 5 ans des deux groupes se rejoignent.

Enfin, à l'instar de ce que d'autres notèrent ailleurs dans le monde, nous avons observé que les femmes de 70 ans et plus avaient moins souvent de dissection axillaire et de stade TNM consigné au dossier. Elles étaient moins souvent traitées par chirurgie mammaire conservatrice et, lorsqu'elles subissaient une chirurgie mammaire conservatrice, elles recevaient moins souvent de radiothérapie postopératoire. Leur survie relative ajustée pour le stade était également inférieure à celle des plus jeunes.

Conclusion

Les tendances temporelles observées suggèrent que l'on détectait, en 1998, les cancers du sein un peu plus précocement qu'en 1993. Elles montrent également que les cliniciens québécois se sont, en grande partie, conformés aux consensus cliniques canadiens et internationaux développés au cours des années 1990 sur l'investigation et les traitements des nouveaux cancers du sein. Toutefois, en 1998, certains facteurs pronostics ou prédictifs de la réponse au traitement manquaient encore souvent au dossier médical des femmes atteintes d'un cancer in situ ou infiltrant. Or, un choix judicieux du traitement dépend d'une caractérisation complète du cancer. De plus, à la lumière de publications provenant d'autres pays industrialisés, il y avait à ce moment encore place à amélioration au Québec eu égard à l'investigation des cancers du sein. De même, à l'instar de ce que d'autres observèrent ailleurs dans le monde, les soins prodigués aux femmes plus âgées se conforment moins aux guides de pratique que ceux prodigués aux plus jeunes. Et leur survie au cancer du sein est moins bonne que celle des plus jeunes. Ces écarts dans les soins s'expliquent peut-être par des divergences entre jeunes et âgées quant aux contreindications thérapeutiques ou quant aux préférences des patientes. Si tels est le cas, ils sont acceptables. Autrement, il apparaît souhaitable que toutes accèdent à des soins de la meilleure qualité possible indépendamment de leur âge.

Cette étude démontre qu'il est possible de surveiller les progrès dans la lutte au cancer dans l'ensemble du Québec par une méthode souple, facile d'application et efficiente. Ces résultats pourront servir de point de référence pour apprécier les impacts des interventions futures pour contrer le cancer du sein au Québec. Ils seront également accessibles à tout établissement qui désire comparer sa performance à celle de l'ensemble du Québec eu égard à l'investigation, au traitement et à la survie de ses patientes au prise avec un cancer du sein.

Type de publication
ISBN (électronique)
2-550-45918-0
ISBN (imprimé)
2-550-45917-2
Notice Santécom
Date de publication