Vagues de froid au Québec méridional : adaptations actuelles et suggestions d'adaptations futures

Dans le cadre des obligations canadiennes en vertu du protocole de Kyoto, le ministère Ressources naturelles Canada a coordonné l'Évaluation nationale des conséquences du changement climatique, laquelle doit être finalisée sous peu. Afin de contribuer à son volet santé, l'Évaluation nationale du changement climatique et de la santé, et à la mise en place des premiers jalons d'une adaptation aux conditions climatiques à venir, comme le prévoit le Plan d'action québécois sur les changements climatiques, la Direction des risques biologiques, environnementaux et occupationnels de l'Institut national de santé publique du Québec a proposé d'approfondir les connaissances entourant les vulnérabilités aux changements climatiques de la population du Québec méridional et d'évaluer sa capacité et celle de certaines institutions à atténuer les risques pour la santé associés à ces vulnérabilités.

C'est dans ce contexte que s'inscrit le présent rapport sur les adaptations aux vagues de froid. En effet, le réchauffement climatique ne s'effectue pas nécessairement de façon linéaire (1), même s'il a été observé une hausse des températures minimales et maximales au Canada au cours des dernières décennies (2), particulièrement en hiver, et une évolution à la hausse des températures moyennes au Québec méridional entre 1960 et 2003 (3). Conséquemment, il y aura encore des périodes de refroidissement intense auxquelles il sera essentiel de s'acclimater adéquatement, notamment en raison des effets sanitaires préoccupants attribuables au froid (4-5).

Concrètement, ce document synthétise certains résultats découlant d'une étude réalisée par téléphone (n= 2545), à l'automne 2005, parmi la population générale habitant le Québec méridional et amorce une réponse aux questions suivantes :

  • Quel type de chauffage est utilisé à la maison?
  • Qui chauffe au bois et à quelle fréquence?
  • L'hiver, qui calfeutre préventivement les fenêtres et portes du logement?
  • Quels moyens sont utilisés pour se réchauffer (p. ex. prise de douches ou de bains) ou pour réchauffer le logement (p. ex. utilisation du four de la cuisinière), lorsqu'on est présent à la maison lors d'une période de refroidissement?
  • Qui sort faire des courses, ou des activités physiques intenses extérieures, malgré les températures anormalement basses?
  • Lors de ces sorties, comment s'habille-t-on pour prévenir les effets néfastes du froid? et,
  • Qui utilise un démarreur automobile à distance l'hiver?

De plus, il suggère diverses stratégies d'adaptations futures, dont plusieurs font déjà l'objet de recommandations à l'échelle nationale et internationale (p. ex. 6-8).

Adaptations actuelles

  • Plus des trois quarts des répondants avaient accès à une seule source d'énergie à domicile pour réchauffer leur logement l'hiver, et principalement à l'électricité. Les autres participants combinaient plus d'une source, tout spécialement l'électricité et le bois.
  • De fait, 18,5% des participants chauffaient leur logement au bois, au moins occasionnellement. La presque totalité d'entre eux résidaient dans une maison, plutôt qu'en appartement. Ils étaient également plus fortunés que les autres répondants. Relevons que l'usage du chauffage au bois, plus fréquent à mesure qu'on s'éloigne de Montréal et de Laval, n'a été influencé ni par la perception de vivre dans une région propice au smog hivernal, ni par l'avertissement de smog transmis par les médias.
  • L'hiver, 12,4% des participants calfeutraient toutes les fenêtres et portes de leur logement et 19,3%, certaines d'entre elles. Cette stratégie d'adaptation était davantage prisée par les résidents d'une construction bâtie avant 1983 et par les répondants percevant l'isolation de leur logement inefficace pour contrer le froid ou l'humidité.

Lors d'une vague de froid, 27,7% des répondants ajoutaient au moins occasionnellement des coupe-froid aux fenêtres (p. ex. guenilles) et portes (p. ex. tapis) de leur logement. L'inefficacité de l'isolation du logement contre le froid ou l'humidité semble inciter à adopter cette stratégie lors de températures anormalement basses, particulièrement chez les répondants n'ayant pas préalablement calfeutré leurs ouvrants.

  • Parmi l'ensemble des participants, 57,5% augmentaient au moins occasionnellement le chauffage le jour, si présents à la maison durant une vague de froid. La propension à augmenter le chauffage était plus marquée chez les femmes de tout âge et les hommes âgés de 18 à 34 ans.
  • Près du tiers des répondants augmentaient le chauffage la nuit lors d'une période de refroidissement intense. Parmi ces derniers, on retrouvait surtout les 18-34 ans, les allophones, de même que les personnes haussant le chauffage jour et nuit lors de températures extrêmement froides.
  • Douze pour cent des répondants se servaient du four de la cuisinière pour réchauffer le logement lors d'une période de températures anormalement basses. Ces participants, moins fortunés que ceux qui n'utilisaient pas ce type de chauffage d'appoint, avaient également recours à diverses autres stratégies pour s'adapter à la vague de froid, tout spécialement à une chaufferette portative.
  • Plus d'un répondant sur dix utilisaient une chaufferette portative lors d'une vague de refroidissement. Ces participants considéraient plus fréquemment l'isolation de leur logement plus ou moins efficace, voire inefficace, pour contrer le froid. Ils résidaient également plus souvent dans un logement construit avant 1983.
  • La grande majorité des participants ouvraient les rideaux, si ensoleillé lors d'une vague de froid; le tiers les fermaient, si venteux. La fermeture des tentures et stores était une stratégie d'adaptation avant tout adoptée par les allophones.
  • Lors de températures anormalement basses, les participants, particulièrement les femmes de tout âge et les hommes âgés de 18 à 34 ans avaient recours à divers moyens pour se réchauffer à la maison, tout spécialement au port de vêtements plus chauds que d'habitude, à l'usage d'une couverture, par exemple pour lire ou écouter la télévision, ainsi qu'à la prise de douches ou de bains.
  • Plus du tiers des répondants ont rapporté adopter au moins six stratégies d'adaptation pour se réchauffer à la maison (p. ex. usage d'une couverture pour lire ou écouter la télévision) ou pour réchauffer le logement (p. ex. utilisation du four de la cuisinière), lors d'une vague de froid; plus du tiers en ont mentionnées de trois à cinq; et environ 10%, une ou deux d'entre elles. Cinq groupes de participants avaient recours à un nombre plus élevé de solutions, soit : les femmes; les 18-34 ans; les répondants qualifiant d'inadéquate l'isolation de leur logement contre l'humidité; les participants ne calfeutrant pas les fenêtres et portes de leur domicile l'hiver; et les résidents des régions sociosanitaires couvrant Montréal, Laval, la Montérégie et l'Outaouais.
  • Un participant sur deux sortait souvent ou toujours faire des emplettes (p. ex. épicerie) malgré les températures anormalement froides; le quart, occasionnellement; les autres, rarement ou jamais. De même, le tiers des répondants faisaient souvent ou toujours des activités physiques extérieures intenses (p. ex. pelletage, sport); environ le quart s'y adonnaient parfois; et deux sur cinq, rarement ou jamais. Les participants sortant faire des courses ou des activités physiques extérieures intenses étaient plus souvent des hommes que des femmes, ainsi que des personnes percevant leur état de santé bon, voire très bon. Par ailleurs, les travailleurs et étudiants allaient faire des emplettes plus souvent que les personnes sans emploi ou retraitées; alors que les résidents d'une maison faisaient des activités physiques extérieures intenses plus fréquemment que les participants vivant en appartement.
  • • Les trois quarts des participants portaient toujours des vêtements plus chauds que d'habitude (dont près de 60,0%, également plusieurs épaisseurs) lors des sorties pour faire des emplettes (p. ex. épicerie) ou des activités physiques extérieures intenses (p. ex. pelletage) durant une vague de froid. Moins d'un répondant sur deux se chaussait toujours plus chaudement que d'habitude. L'accessoire le plus populaire était les gants (toujours : trois participants sur quatre); ensuite, le cache-cou et le couvre-tête (toujours : trois sur cinq); et le moins prisé, le couvre-visage (toujours : un sur quatre). De façon générale, les 18-34 ans et les 35-64 ans (mais dans une moindre mesure) adoptaient ces stratégies d'adaptation plus fréquemment que leurs aînés, outre les chaussures plus chaudes que d'habitude, lesquelles étaient utilisées par une proportion similaire de répondants qu'ils soient jeunes ou plus âgés. Notons que l'usage d'une automobile semble inciter à se ganter et à porter des vêtements plus chauds que de coutume.
  • Quatre répondants sur cinq avaient une automobile, et environ le tiers d'entre eux utilisaient un démarreur à distance l'hiver. Davantage de femmes que d'hommes se servaient d'un démarreur. Son utilisation était également plus prépondérante dans les régions plus froides du Québec méridional. Relevons que ni l'avertissement de smog transmis dans les média, ni la perception de vivre dans une région propice au smog hivernal, n'a influencé l'utilisation d'un démarreur à distance l'hiver.

Suggestions d'adaptations futures Relativement au chauffage au bois :

  • il apparaît fondamental de suivre plus étroitement l'évolution à la hausse du chauffage au bois et de mettre en place, simultanément, des mesures éducatives, législatives et incitatives (p. ex. aide financière) visant l'achat d'appareils à combustion peu polluants et le remplacement des appareils conventionnels. Cette démarche est d'autant plus justifiée en raison de l'augmentation de la fréquence et de l'intensité des événements climatiques extrêmes, lesquelles pourraient inciter davantage de Québécois à chauffer au bois. L'accroissement récent et futur de la population québécoise dans les régions périphériques de Montréal, où la prévalence du chauffage au bois est déjà relativement élevée, n'est également pas à sous-estimer.

Relativement aux stratégies d'adaptation hivernales déployées pour se réchauffer à la maison lors de froid intense :

  • la combinaison de certaines caractéristiques du logement et le revenu des occupants fournit une base raisonnable pour identifier certains sous-groupes de personnes à haut risque lors de froid intense. Dans une perspective de santé publique et d'économie d'énergie, il serait judicieux de développer des programmes d'aide visant l'amélioration de l'isolation du logement plus adaptés à la réalité économique des personnes défavorisées économiquement, qu'elles soient propriétaires ou locataires. Cette démarche serait d'autant plus importante dans un contexte de changements climatiques, puisqu'une mauvaise isolation du logement contre l'humidité influence également la capacité d'adaptation aux vagues de chaleur.
  • Le calfeutrage préventif des fenêtres et portes l'hiver – une mesure concrète et rentable pour économiser de l'énergie à la maison – pourrait être davantage utilisé. Une étude identifiant les raisons de l'observance de cette pratique contribuerait à étoffer les messages éconoénergétiques diffusés à cette fin.
  • Le devis de cette recherche ne permettait pas d'identifier les déterminants physiologiques et psychosociaux de l'adoption des stratégies d'adaptation pour se réchauffer à la maison lors d'une période de refroidissement intense, comme le port de vêtements plus chauds que d'habitude. Dans une optique de développement durable, il serait toutefois pertinent de pousser plus loin cette réflexion car même si une importante baisse du cumul de degrés-jours de chauffage (par rapport à la période allant de 1961 à 1990) est vraisemblable pour le futur, il est aussi probable que les jeunes gens diminueront parallèlement leur capacité physiologique d'adaptation au froid, ce qui pourrait réduire nettement l'éventuelle économie d'énergie.
  • Certains immigrants, surtout ceux provenant de régions tropicales, sont des plus vulnérables l'hiver, tout spécialement ceux de première génération éprouvant de la difficulté à communiquer (p. ex. langue) et n'ayant aucune ressource pour les soutenir (p. ex. famille), notamment lors d'une panne d'électricité massive. Si ce n'est déjà fait, il serait appréciable que les responsables de mesures d'urgence puissent travailler de concert avec Hydro-Québec laquelle a instauré, en partenariat avec des organismes d'accueil et d'intégration, des programmes ciblant les communautés culturelles et ainsi élaboré de moyens de communication adaptés pour la clientèle allophone unilingue. Cet aspect est d'autant plus important dans un contexte où les événements climatiques extrêmes (p. ex. verglas, vagues de froid) augmenteront en fréquence et en intensité.

Relativement à l'indice de refroidissement éolien et aux recommandations vestimentaires transmises simultanément :

  • il semble que la consultation de la température ajustée selon le facteur vent, de même que les recommandations d'Environnement Canada émises simultanément lors d'un avertissement de froid intense, agissent peu ou pas sur le choix des vêtements portés lors des sorties extérieures l'hiver. De fait, l'adoption de comportements préventifs dépend de maints facteurs, outre la connaissance. Par ailleurs, il est aussi possible que l'indice de refroidissement éolien ne soit pas aussi bien compris qu'on le souhaiterait, ou difficilement transposable à une sensation individuelle, ou encore d'une validité questionnable, du moins parmi la population générale. Dans une perspective de santé publique, il serait souhaitable d'évaluer ces divers aspects.

Relativement à l'utilisation d'un démarreur automobile à distance :

  • en termes de santé publique et de protection de l'environnement, la réalisation d'une recherche portant spécifiquement sur les déterminants de l'utilisation d'un démarreur à distance serait un atout, d'autant que la différence observée selon le sexe dans la présente étude n'était pas très élevée, ce qui indique la contribution éventuelle d'autres types de facteurs, telle l'habitude de la marche au ralenti. Relativement à l'avertissement de smog :
  • l'avertissement de smog ne semble pas influencer l'utilisation d'une automobile, d'un démarreur à distance l'hiver, et du chauffage au bois, telle que mesurée dans cette étude. Aussi, il apparaît que la transmission de cette information météorologique n'ait pas encore l'impact escompté sur l'application des recommandations émises par les médias. L'identification des déterminants de leur observance ne pourrait que bonifier le programme Info-Smog.
Auteur(-trice)s
Diane Bélanger
Ph. D., Institut national de la recherche scientifique et Centre de recherche du Centre hospitalier universitaire de Québec
Pierre Gosselin
M.D., MPH, Institut national de santé publique du Québec, Institut national de la recherche scientifique
Pierre Valois
Ph. D., Université Laval
Belkacem Abdous
Ph. D., Centre de recherche du Centre hospitalier universitaire de Québec et Université Laval
ISBN (électronique)
2-550-48278-6
ISBN (imprimé)
2-550-48277-8
Notice Santécom
Date de publication