Facteurs de risque et de protection

Facteurs de risque

La maltraitance envers les personnes aînées est un problème complexe et multifactoriel qui s’inscrit dans une dynamique relationnelle dépassant la relation maltraitant-maltraité puisqu’elle est influencée par des facteurs sociaux, politiques et culturels, ainsi que par des facteurs propres à la personne aînée, à la personne maltraitante et à l’environnement [31–34]. Comme démontré dans le tableau 1 sur les types de maltraitance, le maltraitant n’est pas nécessairement une personne physique; il peut inclure les organisations.

L’efficacité des interventions pour faire cesser les situations de maltraitance passe d’abord par la connaissance des facteurs de risque qui y sont associés. En plus de varier en fonction du type de maltraitance [31,35], l’état des connaissances sur les facteurs de risque est influencé par la définition, le cadre théorique et la méthodologie retenus pour réaliser les études [36]. Il devient ainsi difficile d’établir une liste claire, exhaustive et fixe de l’ensemble des facteurs de risque de la maltraitance. Par ailleurs, un tel travail serait contre-productif, puisque la liste obtenue serait probablement très longue et, de ce fait, peu spécifique. Depuis deux ans, des chercheurs ont avancé, lors de colloques scientifiques internationaux, que les facteurs de risque devraient maintenant être raffinés selon le type de maltraitance et la dynamique relationnelle qui unit la personne maltraitée à la personne maltraitante, ou au contexte organisationnel maltraitant. Il est donc attendu que les travaux scientifiques à venir vont emprunter cette voie.

La catégorisation des facteurs de risque, développée par le National Research Council [37], est présentée dans plusieurs études [32,36,38]. La qualité de l’appui scientifique de chacun des facteurs catégorisés permet de renforcer leur valeur explicative de situations de maltraitance [36]4. Elle comprend trois catégories :

  1. Les facteurs de risque ayant une forte validité5;
  2. Les facteurs de risque possibles6;
  3. Les facteurs de risque contestés7.

Le tableau 2 présente les facteurs de risque classés selon les trois catégories élaborées par le National Research Council. Ils sont présentés selon qu’ils ont trait à la personne aînée à risque de maltraitance ou aux éléments propres à son environnement. Depuis la publication de cette classification en 2003, d’autres études, dont des recensions d’écrits [32,36], ont enrichi ces résultats. Ces compléments d’information ont été intégrés au tableau 2.

Tableau 2 - Facteurs de risque de la maltraitance

 

Propres à la personne maltraitée

(facteurs intrinsèques)

Propres à l’environnement

(facteurs extrinsèques)

Facteurs à forte validité

  • Démence [32,36,37,39];
  • Faible revenu [32].
  • Isolement social et faible réseau social [31,32,34,36,37];
  • Partage de son milieu de vie [32,36,37,40];
  • Caractéristiques de la personne maltraitante :
    • Problème de santé mentale;
    • Hostilité;
    • Dépendance à l’alcool;
    • Dépendance envers la personne aînée [36,37];
    • Stress et fardeau associé au rôle d’aidant [32];
    • Pertes cognitives et démence [32].

Facteurs possibles

  • Genre (femme) [32,36,37];
  • Traits de personnalité (hostilité, stratégie d’adaptation passive ou d’évitement) [36,37];
  • Ethnie [32,36,37,39];
  • Âge [32];
  • État civil [32];
  • Niveau d’éducation [32].
  • Vivre seul [32,34];
  • Lien relationnel entre la personne maltraitée et la personne maltraitante (conjoints) [36,37].

Facteurs contestés

  • Incapacités sur le plan physique, faible état de santé [32,36,37].

S. O.

Ce tableau met en lumière la progression des connaissances sur le sujet depuis la publication du National Research Council [37]. Les facteurs qui avaient un fort appui scientifique en 2003 sont demeurés dans la liste des facteurs de risque, mais celle-ci a été bonifiée au cours des dernières années. Les facteurs de risque possibles et contestés ont également été davantage documentés et ont gagné en appui scientifique; ils sont donc moins contestés qu’auparavant. Il est à noter que certains facteurs présentés semblent a priori contradictoires. À titre d’exemple, l’isolement social et le faible réseau social représentent des facteurs de risque tout comme le partage de son milieu de vie. Cette situation est due au fait que ces facteurs ne seraient pas associés aux mêmes types de maltraitance [31,32,36]De plus, les effets de la violence ou de la négligence vécue tout au long de la vie sur le risque de vivre de la maltraitance à un âge avancé sont de plus en plus documentés [31,32]. Davantage d’études longitudinales permettraient de bonifier les connaissances à cet égard.

Facteurs propres à la personne et facteurs propres à l’environnement

Comme illustré au tableau 2, il semble avoir plus de facteurs de forte validité qui sont propres à l’environnement qu’à la personne. Cela concorde avec des données de recherche récentes qui indiquent que les facteurs de risque environnementaux seraient de meilleurs prédicteurs de la maltraitance envers les personnes aînées que les facteurs de risque individuels [41]. Cela peut guider les professionnels dans leurs actions cliniques, considérant qu’il puisse être plus facile pour eux d’agir sur les facteurs environnementaux pour contrer une situation de maltraitance que sur certains facteurs individuels, tels la démence, l’état de santé, le genre, l’appartenance ethnique, etc. Cela peut également être utile pour les décideurs publics qui doivent élaborer des programmes d’intervention et mettre en place des plans d’action en s’appuyant sur des données probantes.

La majorité des résultats présentés jusqu’ici traitent de la maltraitance envers les personnes aînées vivant à domicile. Or, il existe des facteurs plus spécifiques aux milieux d’hébergement, tels les centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD). En effet, si l’organisation de la vie quotidienne (ex. : horaire des soins, heures de repas, etc.) peut mener à une perte de liberté [42], la vie en collectivité généralement inhérente à ces milieux est quant à elle propice aux interactions négatives entre les résidents [43]. Le tableau 3 présente les facteurs les plus documentés en milieu d’hébergement selon l’organisation du milieu, les membres du personnel ainsi que les personnes aînées [44]8.

Tableau 3 - Facteurs de risque en milieu d’hébergement

Facteurs associés à l’organisation du milieu

  • Manque ou pénurie de personnel [10,45–47];
  • Lourdeur de la tâche de travail empêchant les professionnels de donner des soins de qualité dans un temps suffisant [48–50].

Facteurs associés aux membres du personnel

  • Connaissances inadéquates et formations limitées [10,45,51];
  • Problèmes personnels, dont un historique de violence domestique, de santé mentale, de consommation de drogues ou d’alcool [45,51];
  • Stress, fatigue émotionnelle ou épuisement professionnel [10,45,51];
  • Attitude négative envers les personnes aînées en général, les résidents en particulier ou envers le travail [10,51].

Facteurs associés à la personne ou à son réseau

  • Isolement social ou le fait d’avoir peu ou pas de visites de l’extérieur [10,45].

Source : Synthèse exécutive du rapport La maltraitance envers les personnes aînées en milieu d’hébergement. État de situation sur sa prise en charge et mise en perspective d’une approche visant le signalement obligatoire [44].

La lecture du tableau 3 permet de comprendre que bien que la maltraitance puisse être commise par le personnel ou même d’autres résidents au sein des milieux d’hébergement, elle peut s’inscrire plus largement dans une situation de maltraitance organisationnelle9.

Caractère multifactoriel de la maltraitance

Le caractère relationnel dans les situations de maltraitance, soit un contexte qui devrait être basé sur de la confiance, est explicité dans la définition de la maltraitance, présentée à la section 1. Comme mentionné précédemment, les caractéristiques de la personne maltraitée (ou à risque de maltraitance), celles de la personne maltraitante (ou potentiellement à risque de commettre de la maltraitance), ainsi que celles du milieu de vie de la personne aînée peuvent toutes influencer l’incidence de la maltraitance. Outre ces éléments, le contexte social, politique et culturel dans lequel s’inscrit la maltraitance peut également être une variable influente.

Sur le plan social, l’âgisme envers les personnes aînées se traduit par l’existence de stéréotypes négatifs [52] reconnus comme un terreau fertile à la maltraitance [53,54]. À titre d’exemple, en milieu d’hébergement, l’âgisme peut influencer négativement les interactions qu’ont les professionnels avec les résidents et engendrer des conséquences négatives [55].

Sur le plan culturel, les études portant sur la maltraitance menées auprès de communautés culturelles exposent les multiples façons de concevoir la maltraitance [32]. En effet, ce qui est reconnu comme tel par le gouvernement du Québec peut être différent selon qu’on appartient, par exemple, à une communauté hispanophone [56] ou autochtone [57]. D’ailleurs, le statut d’immigrant, tel le fait d’être réfugié, peut également avoir une influence sur les représentations de la maltraitance [58]. Ce faisant, les intervenants qui œuvrent auprès de personnes aînées issues de communautés culturelles sont invités à adopter une approche culturellement sensible.

Facteurs de protection

« Les facteurs de protection sont des caractéristiques propres à la personne […] ou à son environnement […] qui tendent à réduire l’incidence d’une problématique, la maltraitance, par exemple » [8,36]. S’ils ne sont pas le contraire des facteurs de risque10, leur présence n’indique pas non plus l’absence de facteurs de risque11. Le peu d’études sur les facteurs de protection empêche d’en tracer un bilan nuancé.

Le Guide de référence pour contrer la maltraitance envers les personnes aînées [13], développé au Québec, propose néanmoins quelques pistes permettant d’énoncer des facteurs de protection propres à la personne ou à son environnement12. Celles-ci sont présentées au tableau 4.

Tableau 4 - Facteurs de protection

Facteurs de protection propres à la personne

Facteurs de protection propre à l’environnement

Estime de soi :

  • Ex. : connaissance de soi, sens de la responsabilité, débrouillardise, etc.

Capacité à demander de l’aide :

  • Ex. : pouvoir se confier, être compris, recevoir des conseils, etc.

Compréhension des émotions :

  • Ex. : capacité de faire face aux événements et de leur donner un sens, adoption de stratégies pour faire face au stress, etc.

Participation sociale :

  • Ex. : sentiment d’appartenance, inclusion sociale, soutien social, sentiment de compétence, etc.

Capacité d’apprendre sur soi-même et sur sa société :

  • Ex. : contrôler sa vie, se fixer des objectifs personnels, poursuivre son apprentissage tout au long de sa vie, découverte d’activités de loisir plaisantes et de moments pour s’y adonner, etc.

Maintien de bonnes habitudes de vie :

  • Ex. : capacité de détente, rire, établissement de relations positives et profitables avec les membres de sa famille et son réseau amical, etc.

Réseau :

  • Ex. : réseau approprié composé de personnes disponibles, présence d’un représentant légal au besoin, réseau adapté aux besoins de la personne aînée, etc.

Environnement :

  • Ex. : milieu de vie adapté aux besoins de la personne aînée et sécuritaire, milieu de vie exempt d’âgisme et d’exclusion sociale, etc.

Capacité financière :

  • Ex. : disponibilité de revenus suffisants, mise en place de moyens permettant de sécuriser les avoirs, etc.

Source : Guide de référence pour contrer la maltraitance envers les personnes aînées, 2e édition [13].

  1. Les études recensées présentent des limites, tel le fait qu’elles ne reposent pas sur des devis de recherche longitudinaux visant à déterminer une relation causale entre ces facteurs et les situations de maltraitance. Ce faisant, la qualité scientifique des facteurs et leur fiabilité à indiquer la présence de maltraitance relèvent de la prépondérance des études arrivant aux mêmes résultats. Il s’agit donc de résultats s’appuyant sur un soutien unanime ou quasi unanime des études recensées [36].
  2. Il s’agit de facteurs validés par de nombreuses études et pour lesquels il semble y avoir un consensus scientifique.
  3. Ce sont des facteurs documentés, mais pour lesquels il n’y a pas de consensus, notamment en raison de résultats contradictoires ou de la portée limitée des études.
  4. Ces facteurs ont peu d’appui scientifique. Ils sont identifiés comme comprenant un risque accru pour la survenue de situations de maltraitance par certaines études, mais nécessitent davantage de validation avant d’être considérés comme des facteurs de risque avérés [36, 37].
  5. Pour davantage d’informations, voir Beaulieu, M. et Leboeuf, R. (4 mai 2016). Synthèse exécutive du rapport Beaulieu, M., Manseau-Young, M.-E., Pelletier, C. et Spencer, C. (12 janvier 2015). La maltraitance envers les personnes aînées en milieu d’hébergement. État de situation sur sa prise en charge et mise en perspective d’une approche visant le signalement obligatoire. Soumis au Secrétariat aux aînés du gouvernement du Québec, 27 p. Ce document est accessible gratuitement au www.maltraitancedesaines.com.
  6. Maltraitance organisationnelle : « Toute situation préjudiciable créée ou tolérée par les procédures d’organisations (privées, publiques ou communautaires) responsables d’offrir des soins ou des services de tous types, qui compromet l’exercice des droits et libertés des personnes » [12].
  7. À titre d’exemple, avoir une démence est un facteur de risque connu, cependant l’absence de démence ne peut être automatiquement considérée comme un facteur de protection [8].
  8. En effet, une personne aînée peut avoir une démence ou être soutenue par un proche aidant qui a un problème de dépendance à l’alcool (facteurs de risque) tout en ayant une bonne estime d’elle-même et un réseau social composé d’autres proches aidants adéquats (facteurs de protection).
  9. Puisqu’il s’agit d’informations inspirées de celles proposées par l’Association canadienne pour la santé mentale – Division du Québec (2015), ce ne sont pas des facteurs de protection spécifiques aux personnes aînées.