Encadré 3 − Contexte de vulnérabilité à la violence conjugale

Nathalie Sasseville, professeure substitut, UQAC

Selon le Plan d’action gouvernemental 2012-2017 en matière de violence conjugale, certaines personnes vivent dans des contextes qui les rendent particulièrement vulnérables à la violence conjugale, dont « les personnes âgées, handicapées, immigrantes, issues des communautés culturelles, lesbiennes, gaies, bisexuelles, transsexuelles et transgenres ainsi que les hommes victimes de violence conjugale » [143]. Ces contextes peuvent se caractériser par une dynamique ou des manifestations de violence conjugale particulières, une gravité ou des conséquences plus sévères, et des difficultés d’accès aux services et aux ressources d’aide.

Si le Québec identifie des populations dites vivant dans des contextes de vulnérabilité, cette notion n’est cependant pas directement abordée par les études scientifiques dans le domaine de la violence conjugale. De plus, les études qui abordent la violence conjugale au sein de chacune de ces populations sont peu nombreuses, et différents enjeux méthodologiques limitent la compréhension du phénomène. À titre d’exemple, les études examinent généralement la violence conjugale à partir des mêmes indicateurs que ceux utilisés dans la population en général, sans nécessairement tenir compte des spécificités associées aux différents contextes de vulnérabilité [93].

Récemment, une recension de la littérature s’est intéressée à la compréhension de la manifestation de la violence conjugale dans certains de ces contextes de vulnérabilité [144]. Les résultats de cette synthèse ont mis en lumière que la vulnérabilité à la violence conjugale se manifeste de différentes façons : par une prévalence de la violence conjugale plus élevée, par le fait de vivre des formes de violence spécifiques (ex. : menaces de révéler l’orientation sexuelle) ou par la présence de facteurs de risque uniques découlant des différents contextes (ex. : processus migratoire). Les paragraphes qui suivent visent donc à illustrer ces différents aspects de la vulnérabilité à la violence conjugale chez les personnes aînées, handicapées, immigrantes et les personnes lesbiennes, gaies et bisexuelles (LGB).

Ampleur du problème

Selon les données canadiennes de l’ESG16, il est possible d’observer que les taux de prévalence de la violence conjugale varient d’un contexte de vulnérabilité à l’autre. En 2009, les personnes aînées et immigrantes étaient moins nombreuses à vivre de la violence conjugale comparativement à la population en général [131,145]. À l’inverse, les personnes handicapées et LGB étaient près du double à avoir vécu des actes de violence physique ou sexuelle dans les cinq années précédant l’enquête [131,145].

Même si peu d’études se sont intéressées aux variations intragroupes, de manière générale, la prévalence de la violence conjugale au sein de ces groupes de personnes n’est pas uniforme. Des études montrent en effet que certains sous-groupes de ces populations sont proportionnellement plus touchés par la violence conjugale. C’est le cas notamment des personnes bisexuelles [146–148], des femmes immigrantes en provenance de pays en voie de développement [149], des personnes handicapées dont les limitations sont sévères [150], ainsi que les personnes aînées âgées de 50 à 65 ans [151,152].

Par ailleurs, les enquêtes populationnelles, telles que l’ESG, permettent d’établir que ces quatre groupes de personnes vivent des formes de violence similaires à celles examinées au sein de la population en général : physique, sexuelle, psychologique et économique. Les études menées auprès d’échantillons cliniques révèlent cependant que certaines formes de violence conjugale sont caractéristiques au contexte de vulnérabilité dans lequel les personnes vivent. Ainsi, la négligence17 (ex. : le fait de négliger de donner une médication ou de donner des soins) serait une forme de violence particulièrement fréquente vécue par les personnes aînées et handicapées [153,154]. La menace de dévoilement de l’orientation sexuelle (outing) serait quant à elle une forme de violence présente chez les couples de même sexe [155]. Il en va de même pour le contexte d’immigration dans lequel le conjoint, pour exercer un contrôle sur la victime, a recours à la menace de déportation, à la confiscation des papiers, etc. [156]. 

Facteurs associés aux contextes de vulnérabilité

Bien que les personnes vivant en contexte de vulnérabilité soient exposées aux mêmes facteurs de risque que ceux de la population en général, le contexte de vulnérabilité dans lequel elles se situent peut accentuer le risque de victimisation et complexifier les stratégies pour s’en protéger [6,93]. Des études montrent également que la vulnérabilité à la violence conjugale de ces populations va au-delà de simples caractéristiques individuelles (ex. : âge, nature du handicap, etc.). Elle est le résultat d’un ensemble de facteurs familiaux, communautaires et structuraux qui s’influencent mutuellement [157–159]. En voici quelques exemples.

Les rapports sociaux de discrimination sont susceptibles de moduler l’expérience de violence et la recherche d’aide pour les personnes vivant dans un ou des contextes de vulnérabilité [6]. La discrimination basée sur le genre, l’origine ethnique, le statut d’immigrant, l’âge, l’orientation sexuelle et le handicap sont en effet des éléments associés à la violence conjugale [160,161].

Les normes sociales qui cautionnent la violence, que ce soit dans la société ou dans les communautés d’appartenance, accroissent le risque de subir de la violence conjugale pour les personnes vivant en contexte de vulnérabilité. Le processus de socialisation à des valeurs patriarcales ainsi que les croyances religieuses renforçant les rôles traditionnels de genre sont tous des facteurs associés à la victimisation ou à la perpétration de la violence conjugale chez les personnes aînées, handicapées et immigrantes [162–164]. Dans le même sens, la peur des communautés lesbiennes et gaies de nourrir des sentiments homophobes et le désir de maintenir une image idéalisée des rapports égalitaires dans les couples de même sexe constituent un frein au dévoilement de la victimisation. Cette situation contribue ainsi à rendre vulnérables les personnes victimes de violence conjugale en les isolant davantage [165].

L’exposition, tout au cours de la vie, à des dynamiques de violence dans les relations intimes (ex. : au sein de la famille, dans le couple) est associée à un risque accru de vivre de la violence conjugale chez les personnes aînées, handicapées, immigrantes, lesbiennes, gaies ou bisexuelles [96,146,155,166–169]. Selon les études, le fait de dépendre de l’entourage pour les soins quotidiens [168,170] et de ne pas correspondre aux stéréotypes sociaux en raison de différences personnelles liées à un handicap, à l’âge, à une orientation sexuelle ou à l’appartenance ethnique [149,169,171,172] sont des éléments qui contribuent à augmenter la vulnérabilité de ces personnes à subir de la violence tant pendant l’enfance qu’à l’âge adulte, et ce, par de multiples personnes, dont un conjoint.

Des déterminants sociaux font en sorte que certains de ces groupes de personnes n’ont pas toujours les mêmes possibilités que les autres, ce qui les rend vulnérables à la violence conjugale. À titre d’exemple, l’exposition à des conditions socioéconomiques précaires telles que le faible revenu, la faible scolarisation et le fait de ne pas avoir d’emploi sont des facteurs de risque associés à la violence conjugale chez les personnes aînées et immigrantes [173–175].

Conséquences

Les études montrent que les conséquences de la violence conjugale vécue par les personnes aînées, handicapées, immigrantes et LGB sont similaires à celles observées dans la population générale. Toutefois, le cumul des expériences de violence subies par ces personnes tout au cours de leur vie les fragilise davantage et en exacerbe les conséquences. Les études font valoir en effet que les expériences de victimisation vécues tout au cours de la vie affectent la santé physique (ex. : handicap résultant de la violence subie), mentale (ex. : traumatismes, anxiété, dépression, stress lié au statut minoritaire qui engendre de l’homophobie intériorisée, etc.) et le fonctionnement social de ces personnes. Plus encore, ces conséquences tendent à se cumuler et à se cristalliser, affectant ainsi l’habileté et l’espoir de ces personnes à se sortir du cycle de la violence [148,162,176]. L’ensemble de ces conséquences est d’ailleurs associé à un risque accru de subir ou de commettre de la violence conjugale [148,177].