Facteurs organisationnels associés à la violence en milieu de travail

Il existe de nombreux écrits en lien avec les causes organisationnelles du harcèlement psychologique au travail dont les études proviennent principalement d’Europe, d’Australie et d’Amérique du Nord. Trois catégories de facteurs organisationnels associés à la violence sont présentées dans le présent chapitre : les risques psychosociaux, les contrats de travail atypiques, et la normalisation de la violence dans la culture organisationnelle.

Risques psychosociaux du travail

Les risques psychosociaux du travail sont définis comme « des facteurs qui sont liés à l’organisation du travail, aux pratiques de gestion, aux conditions d’emploi et aux relations sociales et qui augmentent la probabilité d’engendrer des effets néfastes sur la santé physique et psychologique des personnes exposées » [83]. Les facteurs de risque psychosociaux universellement reconnus sont la demande psychologique (charge de travail), la latitude décisionnelle (autonomie), le soutien social des collègues et du supérieur, la reconnaissance au travail et la justice organisationnelle [84–87]. Il a été démontré qu’une exposition à ces risques du travail, surtout lorsque l’exposition est prolongée, augmente les risques de développer des problèmes de santé psychologiques et physiques. La combinaison d’une charge de travail élevée et d’une faible autonomie du travail – phénomène appelé « tension au travail » – est reconnue comme particulièrement délétère.

Les défis occasionnés par les risques psychosociaux du travail sont importants dans plusieurs pays, et les liens avec la violence dans les milieux de travail ont été l’objet d’une attention considérable dans la littérature [88–90]. Le harcèlement est lui-même considéré comme un risque psychosocial du travail, mais des études montrent que d’autres risques psychosociaux peuvent être précurseurs de la violence en milieu de travail.

Une recherche ayant pour but de comparer les conditions de travail dans des centres de soins résidentiels desservant les personnes âgées dans trois provinces canadiennes11 et dans quatre pays, suivant le modèle scandinave de services sociaux, révèle de grandes différences concernant les niveaux d’exposition des travailleurs canadiens à la violence physique, à la violence verbale et à des attentions sexuelles non désirées. L’étude compare les données de deux enquêtes, utilisant essentiellement le même questionnaire, mais dont les méthodes de distribution diffèrent12. Selon les résultats de cette étude, les Canadiens travaillant en centre de soins résidentiels pour personnes âgées sont 6 fois plus susceptibles d’être victimes de violence physique quotidienne, 4 fois plus à risque d’être exposés à de la violence verbale, et 23 fois plus susceptibles de faire l’objet d’attentions sexuelles non désirées que leurs homologues scandinaves. Les auteurs associent en partie ces différences de résultats aux facteurs structurels qui exposent les travailleurs des centres de soins résidentiels aux personnes âgées du Canada à plusieurs risques psychosociaux au travail13. Les risques identifiés incluent une charge de travail élevée, un manque de personnel, une faible latitude décisionnelle et un faible soutien social [37]. Cette étude est un exemple parmi plusieurs permettant de mettre en évidence les liens entre la violence au travail et les risques psychosociaux du travail.

En Australie, une étude portant sur le travail des policiers documente les liens entre certains risques psychosociaux du travail, soit une combinaison d’une charge de travail élevée, d’une faible latitude décisionnelle et d’un faible soutien social, et un taux élevé de dénonciations de harcèlement psychologique. Les auteurs rapportent que des conditions de travail stressantes peuvent contribuer au développement d’interactions négatives au travail entre un supérieur et un subordonné ou entre collègues, lesquelles peuvent éventuellement mener à des situations de harcèlement. Plusieurs études ont d’ailleurs démontré des associations entre le harcèlement psychologique et d’autres risques psychosociaux du travail, tels que la charge de travail, la tension au travail, le déséquilibre entre les efforts et la reconnaissance, les conflits de rôle et l’insécurité d’emploi [40,79,91–94].

Dans l’EQCOTESST [79], tous les risques psychosociaux étudiés sont associés au harcèlement psychologique, et les résultats sont significatifs pour les deux sexes [80]. La figure ci-dessous présente les prévalences de harcèlement psychologique associées aux risques psychosociaux au travail, pour les hommes et pour les femmes, exposés et non exposés.

Figure 2 : Prévalence du harcèlement psychologique au travail selon l’exposition à des risques psychosociaux du travail selon le genre

 

* Tension au travail : combinaison d’une forte demande psychologique et d’une faible latitude décisionnelle.
** Combinaison d’une forte demande psychologique, d’une faible latitude décisionnelle et d’un faible soutien social.

Insécurité d’emploi, durée des contrats d’emploi et exposition à la violence

Il a été démontré dans certaines études que l’exposition à diverses formes de violence au travail est associée aux contrats d’emploi à durée déterminée (travail occasionnel ou temporaire). Des études en Australie et au Québec ont montré que le travail à durée déterminée augmente les risques d’être exposé au harcèlement sexuel [79,95]. L’Enquête européenne sur les conditions de travail [88] indique pour sa part que les employés ayant un contrat de travail à durée déterminée sont plus susceptibles d’être la cible de violence au travail, incluant les agressions verbales, l’attention sexuelle non désirée, les menaces de violence et les comportements humiliants. En ce qui concerne plus spécifiquement le harcèlement psychologique au travail, une étude australienne [96] rapporte que les travailleurs occupant un emploi temporaire sont moins exposés au harcèlement psychologique que les travailleurs avec des contrats à durée indéterminée. Des résultats similaires ont été obtenus dans l’EQCOTESST menée au Québec [79] en ce qui concerne les emplois temporaires, ainsi que les emplois non syndiqués, qui seraient associés à une plus faible exposition au harcèlement psychologique que des emplois permanents et des emplois syndiqués bien que, paradoxalement, l’insécurité d’emploi soit associée à une plus grande exposition au harcèlement psychologique. Les auteurs émettent certaines hypothèses pour interpréter ces résultats qui peuvent sembler surprenants [80]. D’abord, il est possible que le harcèlement psychologique au Québec, en raison des solides protections contractuelles offertes aux travailleurs syndiqués, puisse se produire dans des situations où l’auteur du harcèlement peut retirer des bénéfices à adopter une telle conduite14. Par exemple, des études faisant état de la jurisprudence québécoise décrivent des situations où le harcèlement psychologique a été utilisé pour tenter d’exclure les travailleurs du milieu de travail après leur retour au travail à la suite d’un congé de maladie. La jurisprudence illustre également des situations où le harcèlement psychologique a été utilisé pour exclure les travailleurs syndiqués dont la présence dérangeait les gestionnaires [98]. Une autre piste d’interprétation amenée par Lippel et ses collaborateurs [80] est que les travailleurs syndiqués soient plus susceptibles d’être au courant du concept de harcèlement psychologique simplement parce qu’ils connaissent mieux leurs droits et sont plus susceptibles d’avoir reçu une formation ou de l’information sur la loi qui encadre le harcèlement psychologique au Québec.

Normalisation de la violence dans la culture organisationnelle

Plusieurs études ciblent la normalisation de la violence au sein de la culture organisationnelle comme l’un des facteurs de risque de la violence au travail, dans le sens où les travailleurs et les employeurs peuvent croire que la violence fait partie du travail. Ce facteur a comme effet de rendre la violence invisible, puisque les travailleurs et les employeurs ne rapportent pas les incidents de violence, rendant ainsi la prévention difficile [7,99,100]. Selon Bishop et ses collaborateurs [101], tant les collègues que les supérieurs hiérarchiques peuvent contribuer au processus de normalisation de la violence. On retrouverait ce phénomène de normalisation de la violence dans le secteur de l’éducation [7] et celui de la santé [7,102–105]. Le harcèlement sexuel serait également perçu comme faisant partie du travail dans certains milieux de travail de l’industrie hôtelière [106,107]. Ce phénomène contribue à une banalisation de la violence.

  1. Ontario, Manitoba et Nouveau-Brunswick.
  2. Pour cette raison, l’interprétation des données doit se faire avec prudence.
  3. Un autre élément d’explication amené par les auteurs concerne les différences culturelles dans l’interprétation de la violence.
  4. Cette hypothèse fait référence au concept de harcèlement stratégique amené par Salin et Hoel (2011) [97].