Définition, caractéristiques des comportements agressifs ou violents et contextes

Les comportements de violence à l’école se définissent comme étant tout type de comportement non désiré, perçu comme étant hostile et nuisible, portant atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’une (autre) personne, à ses droits ou à sa dignité [1–4]. Pour les élèves, il s’agit par conséquent de comportements négatifs qu’ils subissent de la part de leurs pairs ou des adultes de l’école, ou encore des comportements qu’ils perçoivent ou observent dans leur environnement. En ce qui concerne les comportements d’agression vécus par le personnel scolaire, il s’agit de comportements négatifs dont il aurait été la cible de la part des élèves, des collègues de leur école, ou encore de parents d’élèves.

La violence entraîne de façon presque inévitable des conséquences négatives chez ceux qui la subissent personnellement ou qui l’observent chez d’autres. L’intensité, la durée et la gravité de ces conséquences varient selon la nature des actes, le contexte sociorelationnel dans lequel ils se produisent, mais également selon la qualité du soutien social (pairs et adultes) et les caractéristiques personnelles de ceux qui subissent ou perçoivent ces agressions. Ces impacts négatifs peuvent être de nature psychologique (anxiété, stress, perte de motivation scolaire, image de soi négative, sentiment d’impuissance, idéations suicidaires, etc.) ou sociale (rejet par les pairs, isolement social, marginalisation). Outre ces conséquences négatives sur le plan personnel, l’ensemble des manifestations de violence, combiné aux réactions qu’elles suscitent, contribuent à modifier directement le climat social (relationnel, de sécurité, d’appartenance, etc.) et éducatif. Ce dernier affecte l’ensemble des individus de la classe et de l’école, et nuit aux conditions d’apprentissage des jeunes. Comme nous le verrons plus loin dans ce chapitre, les problèmes de violence sont rarement vécus strictement entre deux personnes en conflit. Il convient aussi de souligner que l’enfant ou l’adolescent qui tend à agresser plus qu’à subir est également susceptible de vivre, éventuellement, des difficultés importantes sur les plans développemental et psychologique, devenant parfois à son tour victime de violence [5,6]. À l’inverse, il existe une documentation scientifique de plus en plus importante qui rapporte qu’une partie des jeunes qui subissent des actes de violence de façon répétée deviendront aussi des agresseurs (voir la recension de Swearer, Espelage, Vaillancourt et Hymel [7] et celle de Galand [5]).

Types et formes d’agressivité et de violence

Il existe plusieurs classifications ou taxonomies pour décrire et mesurer les comportements agressifs et violents. Ces systèmes de classification décrivent non seulement la nature diverse et les formes qu’empruntent ces conduites, mais également leur contexte de déclenchement (réactif ou proactif), ainsi que la direction qu’elles prennent (directe ou indirecte). Au cours des 20 dernières années, l’étude des cyberagressions a connu un développement particulièrement important avec l’expansion d’Internet. Bien que certaines catégories de conduites agressives déjà bien définies peuvent servir aux recherches en matière de cyberagression – une menace restera toujours une menace, quel que soit le moyen de communication utilisé –, certaines caractéristiques et certains moyens, propres aux échanges sur Internet (ex. : le caractère asynchrone de très nombreux échanges), ont néanmoins exigé d’enrichir les systèmes taxonomiques afin de rendre compte, de façon exhaustive, des multiples formes et contextes de violence qui se manifestent dans le cyberespace.

Agressivité proactive et agressivité réactive

C’est principalement à Kenneth Dodge et à son collègue John Coie (Duke University) que l’on doit les premières études des fondements empiriques et théoriques, dans les années 80, sur les distinctions à établir entre le caractère proactif et réactif des actes agressifs et violents (voir Dodge [8] sur l’origine et le développement de ces recherches ).

En effet, la gravité des conséquences qu’entraînent les actes de violence subis varie notamment en fonction de la nature de ces mêmes actes, ainsi que du contexte psychosocial (personnel et relationnel) menant à leur déclenchement (ainsi que leurs motivations). L’agressivité proactive est le résultat d’une stratégie visant à contrôler, à dominer ou à s’accaparer. Le cas de l’intimidation (incluant le harcèlement) est sans doute l’exemple d’agressivité-violence proactive dont il est fait mention le plus régulièrement dans les discussions et les médias concernant la violence à l’école. L’intimidation se définit comme tout comportement, parole, acte ou geste délibéré ou non, à caractère répétitif, exprimé directement ou indirectement, y compris dans le cyberespace, dans un contexte caractérisé par l’inégalité́ des rapports de force entre les personnes concernées, ayant pour effet d’engendrer des sentiments de détresse et de léser, de blesser, d’opprimer ou d’ostraciser (Loi sur l’instruction publique, art. 13, par. 1.1 [9]). Ce type de comportement est rarement spontané ou en réaction à une agression reçue; il est plutôt le résultat d’une intention visant à contrôler, à dominer ou à s’accaparer. Le plus souvent, l’élève qui manifeste de façon régulière ce type de comportement possède des habiletés sociales. L’intimidation par ce type d’élèves est un moyen parmi d’autres, au même titre que l’expression des comportements prosociaux, pour obtenir certains avantages sociaux (amis, reconnaissance, etc.) ou pour améliorer son statut au sein d’un groupe de pairs [10]. Les comportements d’agressivité proactifs comme l’intimidation se développent et se consolident en fonction des contingences de l’environnement social (application des règles de vie, niveau d’attention et d’intervention des adultes en milieu scolaire, enseignement de solutions prosociales lors de la résolution de conflits, etc.). À l’opposé, les comportements d’agressivité réactive sont plutôt la résultante d’une difficulté d’adaptation chez l’élève qui se manifeste notamment par des mécanismes insuffisants sur le plan de l’autorégulation socioémotionnelle et comportementale [10]. Un exemple de ce type de conduite est un jeune qui réagit agressivement, de façon impulsive, à une provocation ou à un geste déplacé, sans essayer de se calmer ou de prendre un peu de distance par rapport à ce qui vient de lui arriver. Les enfants présentant des conduites agressives réactives ont, entre autres, tendance à attribuer des intentions hostiles face à un geste ambigu dirigé vers eux (ex. : recevoir un ballon dans le dos durant la récréation, un camarade qui échappe de la peinture sur son dessin, etc.). Sans demander des explications ou essayer de comprendre ce qui a pu réellement se passer, car il pourrait s’agir d’un geste accidentel, ces enfants infèrent généralement dans ce type de situations des intentions hostiles à leur endroit de la part de l’autre, réagissant agressivement, souvent de façon disproportionnée. Les gestes d’agressivité réactive ne sont donc pas associés à une stratégie ni à une intention bien planifiée de porter atteinte à autrui, bien qu’au final, ils amènent néanmoins cette conséquence. Il n’existe pas de profils « purs » des réactifs et des proactifs durant la période de scolarisation. Bien qu’empiriquement il soit possible de les distinguer, un jeune tend à développer ces deux modes opératoires tout au long de sa socialisation en milieu scolaire et extrascolaire.

Violence directe et indirecte

Ainsi, outre les enjeux associés aux rapports de force qu’induit nécessairement l’expression de tout acte de violence, les recherches menées au cours des 30 dernières années ont permis d’identifier d’autres grandes catégories de conduites violentes au sein d’une taxonomie qui s’est avérée empiriquement et théoriquement fondée [2]. Selon cette taxonomie, il existe deux grands types d’agression, soit directs et indirects. Ces deux types d’agression comportent en tout cinq formes distinctes : 1) direct/insultes, menaces; 2) directe/physique; 3) indirecte/sociale; 4) indirecte/électronique; et 5) indirecte/matérielle (voir la figure 1).

Figure 1 - Précisions sur les formes de violence selon le modèle testé de Beaumont et collaborateurs, 2014

 

 

Les comportements d’agression directe décrits par ce modèle sont des agressions exprimées et adressées directement vers une personne clairement ciblée, généralement présente physiquement ou accessible par un moyen de communication (ex. : un blogue, un échange synchrone sur Internet, un échange téléphonique, etc.). Pour leur part, les comportements d’agression indirecte se caractérisent par des actions négatives qui ne sont pas exprimées/perpétrées directement vers l’individu (la plupart du temps absent au moment où cela se produit), mais plutôt vers un tiers ou à l’aide d’un moyen technique (en mode asynchrone, c’est-à-dire sans lien simultané avec la victime). Comme pour l’agression directe, les actions de type indirectes peuvent se manifester sous plusieurs formes (modalités) : sociale (relationnelles), matérielle et électronique (mode asynchrone) (figure 1). Au cours des dernières années, une forme dite à connotation sexuelle s’est ajoutée et se traduit généralement par des insultes ou des menaces, par des agressions physiques, sociales ou encore par voie électronique [11].

Cyberagression

La cyberagression fait référence, la plupart du temps, à un comportement d’agression de type indirect, à l’aide d’un moyen de communication technologique. Les formes et les modalités qu’emprunte la cyberagression sont diverses : menaces et harcèlement en ligne; attaques personnelles à l’endroit d’une personne ou d’un groupe d’individus pour dénigrer leurs opinions ou leurs réalisations; médisance; diffusion, sans autorisation, d’informations personnelles concernant une personne à qui on veut porter atteinte; tentatives de rapprochement indésirable se produisant lorsqu’un individu cause de la détresse à la personne ciblée en sollicitant à répétition son attention de façon inappropriée ou non désirée; paroles ou remarques en vue de rejeter la personne d’un groupe constitué au sein d’un réseau, etc. [12]. Ces agressions peuvent atteindre la personne de manière instantanée (ex. : Facetime, Skype, textos) ou différée (ex. : courriels, réseaux sociaux, sites), et sont souvent commises à son insu et sans même qu’elle n’en connaisse la provenance [13]. Comme il est souvent souligné dans les études portant sur la cyberagression, le caractère anonyme de certaines agressions (par un pseudonyme) ou, à tout le moins, la distance que la technologie établit entre l’agresseur et la personne qui subit l’agression accroissent le sentiment d’impunité chez celui qui commet ce type d’acte, comme il crée à tort, chez ceux qui le subissent, un sentiment d’impuissance pour faire cesser ce type d’agression. Comme le souligne Beaumont, Galand et Lucia, un seul geste d’agression en ligne peut se révéler très grave (ex. : menaces de mort, diffusion d’images dénigrantes à un large public), et requérir une intervention sans qu’il ne soit pas nécessairement commis à répétition [14]. De plus, compte tenu de la vitesse de propagation de ces cyberagressions, les conséquences sur la personne ciblée s’en trouvent souvent aggravées1. Les recherches récentes ont montré que le cyberespace et les milieux scolaires sont souvent intimement liés lorsqu’il s’agit de conflits et d’intimidation. L’un, s’avérant souvent la continuité de l’autre, ou encore le prétexte (conflit, rivalité, gestes déplacés, etc.) pour poursuivre et accroître les tensions déjà existantes [12,15].

Au-delà des multiples formes de comportements agressifs et violents, il y aura toujours la nécessité de bien décrire (et de comprendre) la dynamique sociale qui sous-tend ces conduites en milieu scolaire.

L’ensemble de ces considérations vient souligner, une fois de plus, que la violence et l’agressivité à l’école s’expriment – dans la quasi-totalité des cas – dans un contexte sociorelationnel (élément essentiel, au-delà des différentes formes que peuvent prendre les gestes violents ou agressifs). Au même titre que la coopération et l’altruisme qui se structurent autour des rapports interpersonnels et des règles de vie en société, les comportements d’agression et de violence sont régis par les mêmes structures fondamentales des rapports interpersonnels. L’école et le monde de la classe sont des environnements sociaux avec leurs caractéristiques et leurs dynamiques spécifiques. Une récente étude, comme bien d’autres auparavant, souligne l’importance de prendre en compte non seulement la nature (les types et les formes) des actes commis et subis, mais également la dynamique sociale (compétition entre les pairs, liens affiliatifs, défense de son honneur, vengeance, fausses accusations, etc.) dans laquelle se manifestent ces conduites si l’on veut efficacement agir pour les prévenir [16]. Certes, de prime abord, les comportements prosociaux et les comportements d’agression et de violence sont en apparence opposés au regard des conséquences qu’ils ont chez autrui. Néanmoins, ces deux catégories comportementales se révèlent dans bien des cas comme des stratégies complémentaires visant des buts sociaux identiques (acquisition et le contrôle de ressources matérielles, socioaffectives ou intellectuelles, maintien d’une certaine dominance sociale ou d’une plus grande attractivité auprès de ses pairs, etc.) [10]. En d’autres termes, il ne s’agit pas de cibler uniquement les gestes posés et subis, ni même leur contexte immédiat de déclenchement. Comme nous le verrons plus loin, la prévention et la réduction des actes violents en milieu scolaire reposent également sur une connaissance juste des enjeux sociaux qui motivent souvent ce type d’acte. Dans le même ordre d’idées, il s’avère essentiel de bien comprendre les raisons et les justifications morales que les jeunes apportent pour motiver le fait de commettre de tels actes, ou tout simplement d’en être témoin sans intervenir [17]. Une telle compréhension constitue une autre des clés pour prévenir et intervenir efficacement auprès des jeunes, car elle donne accès aux éléments motivationnels derrière de tels actes (voir la section La prévention et la réduction de la violence dans les écoles : pour une meilleure intégration des mesures globales et spécifiques).

Il ne faut jamais perdre de vue que l’agressivité (physique, verbale, instrumentale/matérielle) constitue souvent un mécanisme adaptatif qui a sa raison d’être d’un point de vue évolutif et développemental.

  1. Devant de tels risques, une intervention s’impose, pouvant aller jusqu’à des dispositions légales. Toutefois, avant d’en arriver là, il existe des moyens relativement efficaces pour lutter contre ce type de violence, mais nécessitant une réelle concertation entre les différents acteurs (dont les parents et les intervenants du milieu scolaire) et les fournisseurs de services Internet (voir la section La prévention et la réduction de la violence dans les écoles : pour une meilleure intégration des mesures globales et spécifiques de l’article De l'école au cyberespace, le phénomène de l'intimidation, chez les jeunes : état de la recherche et de l'intervention [12]).