L’ampleur de la violence vécue en milieu autochtone

La prévalence de la violence en milieu autochtone est fort préoccupante. À l’heure actuelle, la qualité et la disponibilité des données ne permettent pas de dresser un portrait d’ensemble précis de la violence vécue en milieu autochtone, ni de rendre compte de données comparables pour différents groupes. À titre d’exemple, rares sont les données qui permettent de documenter de façon précise la violence vécue par les Autochtones au Québec vivant hors communauté. Souvent, les données sont tirées d’enquêtes ou d’analyses secondaires produites auprès de populations et de sous-populations distinctes, utilisant des méthodologies et des processus d’échantillonnage qui peuvent différer, et donc qui s’avèrent difficilement comparables entre elles.

L’usage de données provenant des services policiers peut également sous-estimer la prévalence de la violence. Cela est particulièrement vrai en milieu autochtone compte tenu des relations parfois difficiles avec les corps policiers non autochtones. Ensuite, comme il est observé dans d’autres contextes, plusieurs victimes seraient réticentes à signaler aux autorités les violences qu’elles ont subies. De plus, les services policiers n’auraient pas recours à une méthode uniforme pour prendre en note l’origine autochtone des victimes [46,50,63]. Cela dit, la mise en commun de données provenant de différentes sources permet de faire état de certaines tendances quant à l’ampleur et aux types de violence vécus par les Autochtones.

Violence collective

Étant donnée la nature même de la violence collective, il est difficile de documenter au cas par cas ce type de violence. En revanche, maints indicateurs permettent de constater les iniquités importantes de l’accès à des conditions de vie saines et sécuritaires auxquelles sont confrontées les collectivités autochtones. Ces iniquités sont le reflet d’un contexte historique et socioéconomique particulièrement défavorable marqué par la pauvreté, le chômage, une faible scolarisation, de même qu’un sous-financement des services publics et une difficulté importante d’accès aux services de santé et de services sociaux. Largement documentées, ces inégalités ne se sont pas améliorées de manière substantielle au cours des dernières années; au contraire, elles restent encore bien supérieures à la population non autochtone [2,5]. Des exemples d’iniquités sont présentés à la section Les facteurs de risque et de protection de la violence vécue en milieu autochtone.

Violence interpersonnelle

De façon générale, les populations autochtones sont davantage victimes d’actes violents que les populations non autochtones. Au Canada, les données de l’Enquête sociale générale (ESG de 2014) ont démontré que presque 30 % des Autochtones de 15 ans ou plus ont déclaré avoir été victimes de crimes8 dans les 12 mois précédant l’enquête, comparativement à 18 % chez les non-Autochtones [65].

Facteurs associés à la violence

Une analyse plus approfondie des données de l’ESG permet d’apporter certaines précisions quant aux facteurs explicatifs de la violence chez les Autochtones. Lorsqu’on analyse la contribution de l’ensemble des facteurs de risque mesurés par cette enquête (ex. : sexe, âge, statut socioéconomique), il s’avère que l’identité autochtone n’est pas associée au risque d’être victime de violence. Les taux de violence supérieurs des Autochtones seraient plutôt liés à un cumul de facteurs de risque plus important chez ce groupe que dans la population non autochtone. Toutefois, lorsque la même analyse est effectuée spécifiquement pour les femmes, l’identité autochtone ressort comme un facteur de risque de violence important, et ce, même en tenant compte des autres facteurs évalués par l’enquête. Autrement dit, les taux plus élevés parmi les femmes autochtones ne pouvaient pas être entièrement expliqués par la seule présence d’autres facteurs et le fait d’être une femme autochtone pourrait expliquer en partie la différence [65].

Maltraitance dans l’enfance

Comme mentionné précédemment, la négligence semble être la forme de maltraitance la plus fréquemment rapportée en contexte autochtone.

Selon les données de l’ESG (2014), au Canada, 21 % des Autochtones (15 ans et plus) ont été exposés à la violence conjugale durant l’enfance, le double de la proportion observée chez les non-Autochtones (10 %) [65]. Dans cette même population, 40 % des Autochtones auraient rapporté avoir vécu des mauvais traitements durant l’enfance, comparativement à 29 % des non-Autochtones.

Des tendances similaires s’observent au Québec chez les Premières Nations. Les données de l’Enquête régionale sur la santé des Premières Nations du Québec (2008) montrent que 28 % des adultes et 12 % des adolescents (12-17 ans) ont mentionné avoir été victimes d’une quelconque forme d’abus ou de maltraitance au cours de leur enfance [66]. Pour la région du Nunavik, les données disponibles sur la maltraitance portent sur les agressions sexuelles dans l’enfance. L’enquête de santé de 2004 montre que plus d’une personne inuit sur trois (34 %) a vécu une agression sexuelle avant l’âge de 18 ans [67].

Violence conjugale, violence physique et sexuelle

Les Autochtones sont davantage victimes de violence conjugale que la population générale. Au Canada, lors de l’ESG, 9 % des Autochtones de 15 ans et plus ont admis avoir vécu de la violence conjugale dans les cinq années précédant l’enquête, plus du double de la proportion observée chez les non-Autochtones (4 %) [65]. Les Premières Nations du Québec ont rapporté des proportions beaucoup plus importantes. En 2008, 30 % des adultes ont mentionné avoir été victimes de violence conjugale au cours de leur vie [66]. Alors qu’il est démontré que les hommes autochtones semblent exposés à un risque plus élevé de violence de la part d’un partenaire intime que les hommes non autochtones [68], il n’en demeure pas moins que les victimes de violence conjugale et de violence sexuelle sont le plus souvent des femmes. En effet, la distinction entre les hommes et les femmes montre que ces dernières sont affectées environ deux fois plus que les hommes (respectivement 39 % et 18 %) [66].

Au Nunavik, les données disponibles sur la violence conjugale – datant de 2004 – portent principalement sur la violence physique. Les proportions observées sont alarmantes, et ce, particulièrement chez les femmes. En effet, presque 70 % des femmes victimes de violence physique ou de menaces ont rapporté avoir été agressées par un conjoint ou un ex-conjoint, comparativement à 28 % pour les hommes [69].

La violence physique et sexuelle non commise dans un cadre conjugal est aussi fort préoccupante chez les Autochtones, touchant les femmes dans une proportion beaucoup plus élevée. Au Nunavik, plus de la moitié des femmes adultes (57 %) ont mentionné avoir vécu de la violence physique au cours de leur vie, tandis que presque 3 femmes sur 10 (27 %) ont rapporté avoir vécu de la violence sexuelle à l’âge adulte [67]. En Eeyou Istchee, les données disponibles montrent que 50 % des femmes et 44 % des hommes ont vécu de la violence physique au cours de leur vie. La violence sexuelle touchait également davantage les femmes que les hommes dans une proportion de 35 % comparativement à 23 % [70].

L’ampleur de la violence commise à l’égard des Autochtones s’observe également dans le nombre élevé de filles et de femmes autochtones qui ont été assassinées ou portées disparues au Canada [1,50] (voir l’encadré Les filles et les femmes autochtones disparues et assassinées au Canada). En 2014, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) rapportait qu’entre 1980 et 2012, le nombre de cas déclarés à la police de femmes autochtones assassinées et disparues totalisait 1 181, soit 1 017 homicides et 164 disparitions. Au Québec, ce sont 46 femmes autochtones qui ont été victimes d’homicide au cours de cette période. Comme le souligne la GRC, les femmes autochtones au Canada représentent 4,3 % de la population féminine. Pourtant, les femmes autochtones victimes d’homicide représentent 16 % de tous les homicides commis contre des femmes [63].

La GRC n’a pas procédé à une enquête similaire sur les homicides des hommes autochtones. Cependant, en se basant sur les données de Statistique Canada sur le nombre d’hommes autochtones assassinés, et la démonstration de l’écart entre les estimations de Statistique Canada et les données de la GRC sur les femmes autochtones assassinées et disparues, on peut supposer que si une telle enquête avait lieu, le nombre d’hommes autochtones assassinés serait supérieur aux estimations actuellement disponibles [71].

Violence auto-infligée

Depuis le début des années 80, les taux de suicide des populations autochtones du Canada demeurent largement plus élevés que ceux de la population générale. À titre d’exemple, en 2000, le taux de suicide des Premières Nations était le double de celui de la population générale (24 comparativement à 12 par 100 000 habitants) [32], alors que celui des populations inuit pouvait être jusqu’à 10 fois celui de la population générale [32] (figure 1). 

Figure 1 - Taux de suicide par populations, Canada, 2000

 

Au Québec, entre 2005 et 2009, les tendances étaient similaires pour les Inuit (119 comparativement à 11 par 100 000 habitants ), par contre le taux de suicide chez les Cris entre les années 80 et 2000 étaient sensiblement les mêmes que ceux de la population québécoise. Bien que ces données couvrent des périodes différentes, elles permettent de constater l’ampleur de la situation et les distinctions qui caractérisent ces régions. Les données disponibles sur les tentatives de suicide démontrent qu’au Québec, 21 % des Inuit [74] ainsi que 7,7 % des adolescents et 14,6 % des adultes des Premières Nations [66] ont mentionné, en 2004 et 2008 respectivement, avoir fait une tentative de suicide au cours de leur vie. Ces données sont largement supérieures à celles du Québec, où 4 % des Québécois ont déclaré avoir fait une tentative de suicide au cours de leur vie en 2008 [75].

  1. Il s’agit de l’un des huit crimes mesurés par l’ESG : victimisation avec violence (agression sexuelle, vol qualifié et voies de fait); vol de biens personnels (de l’argent, des cartes de crédit, des vêtements, des bijoux, des sacs à main ou des portefeuilles); victimisation des ménages (introduction par effraction, vol de véhicules à moteur ou de leurs pièces, vol de biens du ménage et vandalisme) [64].
  2. Cette donnée masque le fait que certaines collectivités ont un taux de suicide plus bas que la moyenne, alors que d’autres ont un taux plus élevé. Des taux de suicide locaux peuvent fluctuer énormément en raison de vagues de suicides. La méthode de recensement du taux de suicide par 100 000 habitants, bien qu’elle soit efficace dans le cas de vaste population, donne des chiffres saisissants dans le cas de petites communautés. Un seul décès dans une collectivité de 1 000 habitants donne un taux de 100 par 100 000 habitants.