Changements aux indications de n-acétylcystéine au Royaume-Uni

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Auteur(s)
Sophie Gosselin
M.D., CSPQ, FRCPC, FAACT, Urgentologue et toxicologue médicale, CUSM, Consultante en toxicologie médicale, Centre antipoison du Québec, Consultante en toxicologie médicale, Poison & Drug Information Service, Alberta

Résumé

En septembre 2012, le Medicines and Health Products Regulatory Agency du Royaume-Uni a abaissé le seuil de traitement pour une intoxication aiguë à l’acétaminophène à une concentration 4 heures postingestion de 100 mg/L (662 µmol/L). Dans TOXBASEmd, l’outil de gestion des centres antipoison britanniques, la dose d’ingestion potentiellement toxique a aussi été abaissée à 75 mg/kg et devient donc la dose en référence pour diriger un patient vers un centre hospitalier. Puisque l’acétaminophène est un analgésique couramment utilisé, il est souvent impliqué dans des intoxications intentionnelles et non intentionnelles. Le Centre antipoison du Québec a participé à une étude des implications qu’il risque d’y avoir en suivant les recommandations britanniques sur les appels qu’il reçoit concernant l’acétaminophène. Avant d’adopter les mesures préconisées par les instances britanniques, il est pertinent de considérer leurs coûts-bénéfices et de revoir l’évidence ayant, depuis plus de 30 ans, établi la dose toxique des ingestions aiguës à 150 mg/kg et la concentration 4 heures postingestion de 150 mg/L (1000 µmol/L) comme seuil de traitement à la n-acétylcystéine.

Lettre au rédacteur

En septembre 2012, le Medicines and Health Products Regulatory Agency (MHRA) du Royaume-Uni a établi de nouvelles recommandations quant au seuil de traitement pour les intoxications aiguës à l’acétaminophène.(1) Cette décision suivait quelques cas d’hépatotoxicité et de décès chez des patients chez qui le traitement à la n-acétylcystéine n’avait pas été jugé initialement nécessaire. Le détail de ces cas, dans un document accessible sur le site Internet du MHRA, laisse présumer que certains cas n’auraient pas été bien évalués par l’équipe traitante. Il est par conséquent important de se demander si les guides de traitement actuellement utilisés doivent être modifiés pour pallier des évaluations de risque incomplètes ou inadéquates. Depuis une trentaine d’années, le nomogramme de Rumack-Matthew (voir figure 1, version PDF) est utilisé internationalement et aucune étude observationnelle n’est disponible pour évaluer l’incidence de cas qui ont développé une hépatotoxicité en dépit de cet outil. Les premières études de Prescott avaient démontré une absence d’hépatotoxicité à des concentrations sériques inférieures à 120 mg/L (795 µmol/L) obtenues 4 heures postingestion et des études subséquentes avaient permis de discriminer ces cas avec des concentrations inférieures à 50 mg/L (330 µmol/L) à 12 heures postingestion.(2) Plusieurs de ces patients avaient aussi ingéré d’autres substances incluant l’éthanol.

La particularité de la situation britannique avant les changements était l’utilisation de deux lignes de traitement et la distinction de patients selon deux appréciations de risque soit haut ou bas. Des cas considérés comme à « haut risque » étaient donc traités à une concentration d’acétaminophène plus basse (100 mg/L ou 662 µmol/L à 4 heures) que ceux à « risque normal » de développer une hépatotoxicité (200 mg/L ou 1350 µmol/L à 4 heures) sans égard à l’âge.

Au Centre antipoison du Québec (CAPQ), la ligne de 150 mg/L (1000 µmol/L) à 4 heures est utilisée pour tous. L’évidence concernant les facteurs constituant un risque plus élevé de développer une hépatotoxicité est relativement faible et souvent arbitraire.(3-5) Il est vrai, par contre, que des cas d’hépatotoxicité se produisent à des doses inférieures aux seuils établis.(6) Il est possible que l’histoire d’ingestion soit incorrecte ou que des individus possèdent une susceptibilité génétique particulière.(7)

Au Québec, seulement un cas d’ingestion d’acétaminophène a été rapporté au CAPQ soit un enfant de moins de 5 ans ayant développé une hépatotoxicité avec une dose potentiellement ingérée de 173 mg/kg. Ce cas n’avait pas été initialement examiné en centre hospitalier.(8) Par ailleurs, il n’a pas été précisé non plus si d’autres doses d’acétaminophène lui avaient été administrées dans les 24 heures précédentes pour un état fiévreux.

Le fait d’abaisser le seuil de traitement à 100 mg/L (662 µmol/L) pour tous comporte des implications dans l’utilisation des ressources du système de santé et des urgences qui, dans le contexte québécois, sont déjà suffisamment occupées. Afin d’inclure tous les patients qui pourraient avoir une concentration au-dessus de ce seuil, il faut revoir quelles sont les doses ingérées par les patients qui devraient être confiés à un centre hospitalier. Les documents du MHRA et de TOXBASEmd (l’outil de référence en ligne produit par les centres antipoison britanniques) sont relativement imprécis quant aux données qui ont conduit aux modifications britanniques. Le rôle du Centre antipoison est de bien trier ces cas et de n’envoyer à un centre hospitalier que ceux qui représentent un risque potentiel d’hépatotoxicité. La décision de diriger vers un centre hospitalier tout cas d’ingestion de plus de 75 mg/kg comporte l’inconvénient d’envoyer beaucoup d’individus à très faible risque. Les coûts sociaux et systémiques de telles mesures doivent être évalués.

McQuade a publié une étude révisant des cas admis en centre hospitalier et a conclu que d’utiliser le seuil de 100 mg/L (662 µmol/L) engendrerait des coûts substantiels pour des patients nécessitant une admission de plus de 21 heures pour le protocole de n-acétylcystéine intraveineux. Plus récemment, Thompson a aussi constaté une augmentation des coûts pour les patients déjà aux urgences.(9-12) Cependant, ceci amène à se questionner sur la réalité du travail des centres antipoison qui doivent faire une évaluation du risque avant de diriger un patient dans un centre hospitalier si le seuil de référence pour ingestion potentiellement toxique devient la limite supérieure de la dose thérapeutique permise. Par ailleurs, quelques données ont démontré que le risque de réaction anaphylactoide à la n-acétylcystéine était plus élevé chez des individus avec une faible concentration sérique d’acétaminophène.(10) Il est plausible que la nouvelle norme britannique occasionne davantage de réactions à la n-acétylcystéine en abaissant le seuil de traitement et en administrant l’antidote à des patients qui n’en avaient peut-être pas vraiment besoin.

Le CAPQ a recensé 4028 cas d’ingestion potentiellement toxique d’acétaminophène en 2010 et la majorité (63,3%) concernait des intoxications non intentionnelles. Afin d’en savoir davantage sur la question, une équipe du CAPQ a publié un résumé d’une étude conduite l’automne dernier recensant les cas d’ingestion d’acétaminophène pour le mois d’août 2012.(11) En appliquant les nouvelles normes britanniques, 54 patients supplémentaires auraient dû être envoyés aux urgences pour un dosage d’acétaminophène (voir tableau 1, version PDF). À noter qu’une proportion importante de ces cas concernait des enfants chez qui le risque d’hépatotoxicité était déjà faible (voir tableau 2, version PDF). Aussi, puisque les patients suicidaires devaient tous être dirigés vers un centre hospitalier pour prise en charge de leur geste, ils n’ont pas été inclus dans l’analyse.

Avant d’adopter la norme britannique, il est nécessaire de se poser aussi la question corollaire de qui envoyer en centre hospitalier pour mesure de concentration sérique d’acétaminophène à la suite d’une ingestion. Il faut aussi estimer la probabilité d’une ingestion quelconque de produire une concentration à 4 heures qui mériterait d’être traitée. Et enfin, de faire une estimation de l’ensemble des coûts générés par ces modifications.

Doit-on simplement ajuster la dose potentiellement ingérée avec le même pourcentage de diminution de 33 % (150 mg/L ou 1000 µmol/L à 100 mg/L ou 662 µmol/L) qui a été appliqué au seuil de traitement et diriger les cas d’ingestion avec dose toxique de 100 mg/kg en milieu hospitalier? Quelques études pharmacocinétiques pourraient aussi être utilisées afin de calculer quelle dose ingérée aurait une probabilité de donner une concentration au-dessus de 100 mg/L (662 µmol/L) ou 150 mg/L. Un groupe de travail ayant publié un article sur cette question, auquel le CAPQ a participé, s’y penche actuellement et est en train de mener une étude de coût-efficacité afin de trouver des réponses. Pour le moment, l’équipe du CAPQ n’a pas jugé opportun de modifier les guides de pratique et les indications de traitement pour les intoxications aiguës à l’acétaminophène.

Remerciements

Aux cliniciennes et cliniciens du Centre antipoison du Québec pour la collecte des données : Guillaume Bélair, Marie-Pier Ferland, Véronique Gross, Anne Letarte et Catherine Savard.

Pour toute correspondance

Sophie Gosselin
Centre universitaire de santé McGill
687, avenue des Pins Ouest, local C4.69
Montréal (Québec)  h2A 1A1
Téléphone : 514 934-1934, poste 34277
Télécopieur : 514 843-2852
Courriel : [email protected]

Références

  1. M.H.R.A. Paracetamol overdose: Simplification of the use of intravenous acetylcysteine.  [cited 2012 Jan 26]; Available from: http://www.mhra.gov.uk/Safetyinformation/Safetywarningsalertsandrecalls….
  2. Prescott LF, Roscoe P, Wright N, Brown SS. Plasma-paracetamol half-life and hepatic necrosis in patients with paracetamol overdosage. Lancet. 1971;1(7698):519-22.
  3. Buckley NA, Srinivasan J. Should a lower treatment line be used when treating paracetamol poisoning in patients with chronic alcoholism?: a case for. Drug Saf. 2002;25(9):619-24.
  4. Dargan PI, Jones AL. Should a lower treatment line be used when treating paracetamol poisoning in patients with chronic alcoholism?: a case against. Drug Saf. 2002;25(9):625-32.
  5. Myers RP, Shaheen AA, Li B, Dean S, Quan H. Impact of liver disease, alcohol abuse, and unintentional ingestions on the outcomes of acetaminophen overdose. Clin Gastroenterol Hepatol. 2008;6(8):918-25; quiz 837.
  6. Beer C, Pakravan N, Hudson M, Smith LT, Simpson K, Bateman DN, et al. Liver unit admission following paracetamol overdose with concentrations below current UK treatment thresholds. QJM. 2007;100(2):93-6.
  7. Critchley JA, Nimmo GR, Gregson CA, Woolhouse NM, Prescott LF. Inter-subject and ethnic differences in paracetamol metabolism. British journal of clinical pharmacology. 1986;22(6):649-57.
  8. Communications personnelles Anne Letarte. Centre Antipoison du Québec. 2012.
  9. McQuade DJ, Dargan PI, Keep J, Wood DM. Paracetamol toxicity: what would be the implications of a change in UK treatment guidelines? European journal of clinical pharmacology. 2012;68(11):1541-7.
  10. Waring WS, Stephen AF, Robinson OD, Dow MA, Pettie JM. Lower incidence of anaphylactoid reactions to N-acetylcysteine in patients with high acetaminophen concentrations after overdose. Clin Toxicol (Phila). 2008;46(6):496-500.
  11. Gosselin S SC, Letarte A, Belair G, Gross V, Ferland MP. Consequences of changing the referral threshold for acetaminophen-related calls to the Québec poison control centre. Abstracts of the XXXIII International Congress of the European Association of Poisons Centres and Clinical Toxicologists (EAPCCT) 28–31 May 2013, Copenhagen, Denmark. Clinical Toxicology. 2013;51(4):273.
  12. Thompson G, Fatima SB, Shah N, Kitching G, Waring WS. Impact of amending the acetylcysteine marketing authorisation on treatment of paracetamol overdose. ISRN toxicology. 2013;2013:494357.

Gosselin S. Changements aux indications de n-acétylcystéine au Royaume-Uni. Bulletin d’information toxicologique 2013;29(4):127-132. [En ligne] https://www.inspq.qc.ca/toxicologie-clinique/changements-aux-indication…

Numéro complet (BIT)

Bulletin d'information toxicologique, Volume 29, Numéro 4, novembre 2013