Exposition professionnelle aux gaz anesthésiques pour inhalation - Partie 1

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Auteur(s)
Cynthia Tanguay
B. Sc., M. Sc., Coordonnatrice, Unité de recherche en pratique pharmaceutique (URPP), CHU Sainte-Justine
Sophie Penfornis
Interne en pharmacie, Unité de recherche en pratique pharmaceutique (URPP), CHU Sainte-Justine
Angélique Métra
ing., CRHA, M. Sc. (A), Conseillère, Association pour la santé et la sécurité au travail – secteur affaires sociales (ASSTSAS)
Sylvie Bédard
M. Sc., M. Sc. (A), Conseillère, Association pour la santé et la sécurité au travail – secteur affaires sociales (ASSTSAS)
Sylvain Mathews
MD, Chef, Département d’anesthésie, CHU Sainte-Justine
Jean-François Bussières
B. Pharm., M. Sc., M.B.A., F.C.S.H.P., Chef, Département de pharmacie et Unité de recherche en pratique pharmaceutique (URPP), CHU Sainte-Justine, professeur titulaire de clinique, Faculté de pharmacie, Université de Montréal

Introduction

Les gaz anesthésiques pour inhalation tels que l’isoflurane, le sévoflurane et le desflurane sont utilisés pour anesthésier les patients dans de nombreux secteurs, et principalement dans celui des blocs opératoires. N’étant pas reconnus comme des médicaments dangereux, les gaz anesthésiques pour inhalation n’ont pas été ciblés par l’alerte du National Institute for Occupational Safety and Health (NIOSH) sur les médicaments dangereux publiée en 2004(1-2). La publication de cette alerte a mené plusieurs groupes de professionnels de la santé à s’intéresser activement à l’utilisation sécuritaire des médicaments dangereux menant, entre autres, à la création du Guide de prévention sur la manipulation sécuritaire des médicaments dangereux de l’Association pour la santé et la sécurité au travail, secteur des affaires sociales (ASSTSAS) en 2008(3). Rappelons qu’un médicament dangereux est un médicament ayant au moins l’un des effets suivants : cancérogène, mutagène, tératogène, toxique pour un organe ou pour la reproduction.

Néanmoins, l’exposition professionnelle aux gaz anesthésiques pour inhalation se produit à différentes étapes du circuit du médicament :

  • bris à la réception des stocks à la pharmacie;
  • bris lors du transport dans l’établissement;
  • bris/déversement accidentel lors de la manipulation dans les zones d’anesthésie;
  • fixation du bouchon de raccordement;
  • fuites;
  • évaporation en cours d’anesthésie liée à un problème d’évaporateur;
  • expiration des gaz anesthésiques pour inhalation par les patients en salle de réveil;
  • etc(4).

La manipulation de ces produits doit donc se faire de façon sécuritaire.

La première partie de cet article a comme objectif de présenter les caractéristiques des principaux gaz anesthésiques pour inhalation et de faire le point sur l’exposition professionnelle à ces gaz. L’objectif de la seconde partie, qui paraîtra dans le prochain numéro du Bulletin d’information toxicologique, sera de discuter de la gestion optimale des gaz anesthésiques pour inhalation en établissement de santé tout au long du circuit du médicament.

Caractéristiques des principaux gaz anesthésiques pour inhalation

Les gaz anesthésiques pour inhalation sont des médicaments volatils halogénés de faible solubilité utilisés pour l’anesthésie générale par inhalation(5). Ils sont administrés pour l’induction et le maintien de l’anesthésie à l’aide d’un évaporateur. Le tableau 1 (voir annexe dans la version PDF) présente les caractéristiques des trois principaux gaz anesthésiques pour inhalation disponibles sur le marché canadien selon les monographies canadiennes et les fiches signalétiques. Considérant que l’halothane est un gaz anesthésique pour inhalation qui a été beaucoup utilisé et qui comporte des données dans la littérature d’exposition professionnelle, nous présentons également ses caractéristiques, bien qu’il ne soit plus disponible au Canada.

Exposition professionnelle

Mérat et collab. ont publié une revue des risques professionnels liés à la pratique de l’anesthésie, de leurs conséquences et des éléments de prévention(6). Huit facteurs de risques liés à la pratique de l’anesthésie ont été identifiés, incluant l’utilisation de gaz anesthésiques. L’exposition professionnelle aux gaz anesthésiques pour inhalation comprend des risques d’avortement spontané, d’anomalies congénitales, d’accouchement prématuré, de génotoxicité, ainsi que des risques d’effets neurocomportementaux.

Risques d’avortement spontané

Une étude établit pour la première fois en 1967 une association possible entre un taux plus élevé d’avortements spontanés chez les anesthésiologistes et l’utilisation de protoxyde d’azote (N2O), d’halothane et d’éther(7). Plus récemment, une méta-analyse des articles publiés sur l’exposition maternelle aux gaz anesthésiques pour inhalation entre 1984 et 1992 a démontré que les mères professionnellement exposées aux gaz anesthésiques pour inhalation avaient un risque relatif d’avortement spontané de 1,48 (IC95 % : 1,4-1,58) et ce risque augmentait à 1,9 (IC95 % : 1,72-2,09) lorsque l’analyse ne portait que sur les études de meilleure qualité(8). Toutefois, les auteurs de cette analyse ont relevé plusieurs biais qui nuisent à l’attribution d’un lien de causalité entre les gaz anesthésiques pour inhalation et le risque observé. Parmi les sources de biais identifiées, les auteurs ont rapporté l’absence de validation des effets rapportés par les mères (souvent un questionnaire est rempli sans validation clinique), la description insuffisante des équipements et des types de circuits utilisés.

De plus, les mères incluses dans l’analyse étaient exposées à plus d’un facteur de risque, par exemple, le protoxyde d’azote souvent administré en concomitance avec les gaz anesthésiques pour inhalation et pour lequel le risque d’avortement spontané est reconnu et bien décrit. Cependant, le protoxyde d’azote est de moins en moins utilisé et souvent réservé à l’induction.

Ainsi, il faut interpréter avec prudence l’augmentation du risque d’avortement spontané chez les personnes exposées aux gaz anesthésiques pour inhalation, compte tenu de la présence de facteurs de risques confondants tels l’exposition au protoxyde d’azote, la posture debout prolongée, le stress, etc. Tout groupe témoin doit inclure des femmes exerçant un travail similaire.

Risques d’anomalie congénitale

Une étude de cohorte rétrospective a évalué les anomalies congénitales retrouvées chez les enfants d’infirmières exposées aux gaz anesthésiques pour inhalation(9). De 1990 à 2000, 9 433 infirmières ont donné naissance à 15 317 enfants. Ce nombre inclut 1 079 enfants avec anomalies congénitales ainsi que 80 mortinatalités, dont 23 avec des anomalies congénitales. Le degré d’exposition des infirmières a été classé en deux groupes soit « aucune exposition » ou « exposition ». L’exposition était catégorisée selon un algorithme en tant qu’« improbable », « possible » ou « probable ». L’algorithme prenait en compte les gaz utilisés par le département, le nombre de patients traités par l’infirmière et les précautions mises en place telles que la présence d’un système d’évacuation des gaz et l’évacuation complète de ces gaz avant le transport du patient vers la salle de réveil. Les gaz anesthésiques pour inhalation utilisés pouvaient inclure le protoxyde d’azote et les agents halogénés suivant : desflurane, enflurane, fluoroxène, halothane, isoflurane, méthoxyflurane et sévoflurane. Pour tous les agents halogénés regroupés sans inclure le protoxyde d’azote, le rapport des cotes (« Odds Ratio » ou OR) des anomalies congénitales était de 1,49 (IC95 % : 1,04-2,13) lorsque les trois types d’exposition étaient combinés. Le rapport des cotes n’était significatif que pour la catégorie « probable» (OR 2,61 IC95 % : 1,31-5,18) et non significatif pour les catégories « improbable » (OR 1,08 IC95 % : 0,58-2,00) et « possible » (OR 1,47 IC95 % : 0,84-2,57). La catégorie d’exposition « probable » correspondait à une infirmière travaillant dans un département utilisant des gaz anesthésiques pour inhalation dont ses tâches l’exposaient à plus de 100 patients par semaine et où il y avait moins de deux techniques de précautions utilisées. Il est à noter que les anomalies congénitales documentées provenaient du Health Status Registry du ministère de la Santé de la Colombie-Britannique. Par ailleurs, la prévalence des anomalies congénitales des enfants des infirmières par rapport à la population générale a également été évaluée chez cette cohorte(10). Les auteurs ont noté un risque moins élevé d’anomalies congénitales chez les enfants d’infirmières exposées aux gaz anesthésiques pour inhalation par rapport à la population générale avec un rapport de cotes de 0,84 (IC95 % : 0,78-0,90).

Risques d’accouchement prématuré

Chez les vétérinaires, 744 grossesses ont été évaluées pour le risque d’accouchement prématuré(11). Ces vétérinaires exposées au moins une heure par semaine aux gaz anesthésiques pour inhalation sans système d’évacuation des gaz avaient un rapport de risque d’accouchement prématuré (« hazard ratio » ou HR) de 2,56 (IC95 % : 1,33-4,91) par rapport à un groupe de vétérinaires qui ne pratiquait pas de chirurgie ou pratiquait des chirurgies avec un système d’évacuation des gaz. Il faut également interpréter ces résultats avec prudence étant donné que les auteurs ont également trouvé un risque plus élevé d’accouchement prématuré chez les vétérinaires travaillant plus de 45 heures par semaine avec un rapport de risque de 3,69 (IC95 % : 1,40-9,72).

Risque de génotoxicité

Une revue systématique de The Cochrane Library, Medline et CINAHL (Cumulative Index to Nursing and Allied Health Literature) a été réalisée par Fodale et collab.(12). Deux cent douze résumés ont été revus, desquels 96 articles ont été révisés et 54 ont fait l’objet d’une démarche plus approfondie. Le tableau 2 (voir annexe dans la version PDF) présente un résumé des articles sélectionnés rapportant des résultats sur les effets génotoxiques chez les travailleurs exposés. Les effets génotoxiques peuvent être repérés par quelques méthodes, notamment le test d’échange des chromatides sœurs ou SCE (sister chromatid exchange) où un taux élevé de SCE permet de refléter la présence de dommages au chromosome ou de cellules aberrantes. La technique du Comet Assay permet également d’évaluer l’étendue des  dommages à l’ADN d’une cellule individuelle où l’étendue des dommages est illustrée par la taille de la queue de la comète.

Récemment, Izdes et collab. ont comparé les bris retrouvés dans l’ADN de 19 infirmières du groupe témoin, 17 infirmières exposées aux gaz anesthésiques pour inhalation et 19 aux agents antinéoplasiques par la technique du Comet Assay(13). Le taux de TCS (total comet score) était similaire entre les infirmières exposées aux gaz anesthésiques pour inhalation et aux agents antinéoplasiques, mais significativement plus élevé que pour le groupe témoin (groupe exposé aux gaz anesthésiants 18,58 ± 5,03; groupe exposé aux agents antinéoplasiques 19,89 ± 4,84; groupe témoin 6,84 ± 3,16; p < 0,001). Il faut toutefois garder en tête que les dommages à l’ADN ont de nombreuses sources exogènes (p. ex., les facteurs environnementaux, le tabagisme) et aussi certains facteurs endogènes (p. ex., la génétique, le sexe, l’âge) qui influencent ce risque. En 2010, il a également été démontré que les infirmières exposées aux gaz anesthésiants (n = 40) avaient un taux de dommage à l’ADN mesuré par Comet Assay significativement plus élevé qu’un groupe témoin de travailleurs dans le système de la santé non exposés (exposé 8,36 ± 2,16; non exposé 3,77 ± 0,97, p < 0,001)(14). De plus, les niveaux de GSH (reduced gluathione) et de TAC (total antioxidant capacity) étaient réduits chez les infirmières exposées (exposé – GSH 1,08 ± 0,33; non exposé – GSH 1,29 ± 0,29, p < 0,05, exposé – TAC 0,66 ± 0,31; non exposé –TAC 1,16 ± 0,45, p < 0,001)(14). Une diminution de la réponse oxydative a également été observée chez du personnel de salles d’opération (n = 30) comparativement à des travailleurs des mêmes hôpitaux non exposés (n = 30)(15). Rappelons que les antioxydants préviennent les dommages des radicaux d’oxygène, notamment à l’ADN. Il est également intéressant de noter que Sardas et collab.(16) ont démontré qu’un groupe de 17 travailleurs en anesthésie avaient un TCS diminué suite à une supplémentation en vitamines C et E pendant 12 semaines, mais celui-ci demeurait plus élevé que le TCS de 19 travailleurs témoins, non exposés (TCS groupe exposé 21,5 ± ,0 groupe exposé suite à la prise de suppléments 14,2 ± 6,1, groupe non exposé 8,6 ± 4,7, p < 0,01).

Autres effets

Plusieurs études rapportent des effets neurocomportementaux pouvant être associés à une exposition professionnelle aux gaz anesthésiques pour inhalation, notamment des maux de tête, de la fatigue, une perte d’appétit, une baisse des habiletés psychomotrices, une baisse de la vitesse de réaction, une baisse de la performance à des tests de mémoire et audiovisuels(12,17). Il est encore une fois difficile d’attribuer ces effets à l’utilisation d’un seul gaz, puisque les agents halogénés sont habituellement utilisés en combinaison avec le protoxyde d’azote. Des effets hépatotoxiques associés à l’utilisation de l’halothane chez les patients ont également été observés lors d’exposition professionnelle prolongée, bien que cet agent ne soit plus utilisé. Quelques cas d’hépatites associées à son utilisation ont été rapportés chez des anesthésiologistes, des techniciens ou d’autres professionnels médicaux exposés(17). Le niveau d’exposition nécessaire pour observer ces effets demeure inconnu. Les gaz anesthésiques plus récents tels que l’isoflurane, le desflurane et le sévoflurane ne semblent pas mener à des dommages hépatiques chez les travailleurs exposés(17), malgré que quelques cas d’hépatites post-opératoires chez les patients soient rapportés(18). Parmi les autres effets d’une exposition chronique aux gaz anesthésiques pour inhalation recensés, notons une diminution de l’activité du centre respiratoire et une inhibition de l’apoptose des neutrophiles(18).

Qualité des études

Il est difficile d’isoler hors de tout doute les risques pour la santé d’une exposition professionnelle aux gaz anesthésiques pour inhalation par rapport à d’autres facteurs de risques. McGregor et collab. ont mené une revue documentaire et ont conclu qu’il n’existe aucune association entre la présence d’effets indésirables chez les travailleurs aux blocs opératoires lorsqu’un système d’évacuation des gaz est utilisé. Malheureusement, aucun seuil d’exposition n’est défini(19). Nilsson et collab. ont réalisé une revue systématique des articles publiés entre 1990 et 2002(20). Quatre cent treize résumés ont été sélectionnés, 53 articles ont été révisés et 31 articles ont été inclus dans la revue. Aucun article n’a obtenu un score de « haute qualité scientifique », 8 études ont obtenu un score « qualité scientifique modérée » et 21 études ont obtenu un score « qualité scientifique faible ». Les auteurs concluent qu’il n’existe aucune évidence permettant d’affirmer qu’une exposition professionnelle aux gaz anesthésiques pour inhalation est associée à une augmentation des risques pour la santé des travailleurs. Les auteurs soulignent toutefois qu’il n’existe pas d’études épidémiologiques d’excellente qualité confirmant l’absence de risque lié à l’exposition professionnelle aux gaz anesthésiques pour inhalation.

Cadre législatif québécois

En vertu du cadre législatif québécois et du Règlement sur la santé et la sécurité du travail (RSST), la santé des travailleurs doit être protégée, ce qui implique la réduction et l’élimination des sources de danger(21). Plusieurs articles du RSST doivent être considérés dans le contexte de l’exposition professionnelle aux gaz anesthésiques pour inhalation.

La section V du RSST concerne la qualité de l’air. Notamment, l’article 41 mentionne que « (…) tout établissement dont l'exploitation est susceptible d'entraîner l'émission de gaz, de fumées, de vapeurs, de poussières ou de brouillards dans le milieu de travail doit être exploité de manière à ce que la concentration de tout gaz, poussière, fumée, vapeur ou brouillard n'excède pas, au niveau de la zone respiratoire des travailleurs, les normes prévues à l'annexe I, pour toute période de temps indiquée à cette annexe » (article 41)(21). En date du 1er décembre 2011, l’annexe I inclut des valeurs limites d’exposition pour le protoxyde d’azote, l’enflurane et l’halothane, mais les agents anesthésiques pour inhalation plus récents tels que l’isoflurane, le sevoflurane et le desflurane sont absents de cette annexe(21).

Par ailleurs, l’article 43 de cette même section précise qu’une surveillance environnementale annuelle doit avoir lieu pour tout agent identifié à l’annexe I qui est susceptible d’excéder les valeurs admissibles (article 43)(21). De telles mesures de surveillance de la qualité de l’air devraient aussi être effectuées chaque fois qu'il y a une modification des procédés ou mise en place de moyens destinés à améliorer la qualité de l'air dans le milieu de travail. Les résultats de toute mesure de la qualité de l'air effectuée dans le milieu de travail par l'employeur doivent être consignés dans un registre conservé par l’employeur pour une période d'au moins cinq ans (article 43)(21).

Les valeurs admissibles se définissent en termes de valeurs d’exposition moyenne pondérée (VEMP) et de valeurs d’exposition de courte durée (VECD). La valeur d’exposition moyenne pondérée (VEMP) est définie comme étant « la concentration moyenne, pondérée pour une période de 8 heures par jour, en fonction d'une semaine de 40 heures, d'une substance chimique (sous forme de gaz, poussières, fumées, vapeurs ou brouillards) présente dans l'air au niveau de la zone respiratoire du travailleur (annexe I)(21) ». La valeur d’exposition de courte durée(VECD) est définie comme étant « la concentration moyenne, pondérée sur 15 minutes, pour une exposition à une substance chimique (sous forme de gaz, poussières, fumées, vapeurs ou brouillards) présente dans l'air au niveau de la zone respiratoire du travailleur, qui ne doit pas être dépassée durant la journée de travail, même si la VEMP est respectée (annexe I)(21) ». De plus, « les limites d'excursion s'appliquent pour les substances n'ayant pas de VECD. Lorsque la VEMP est respectée, des excursions peuvent excéder trois fois cette valeur pour une période cumulée ne dépassant pas 30 minutes par jour. Toutefois, aucune de ces excursions ne peut dépasser cinq fois la VEMP pour quelque durée que ce soit (annexe I)(21) ».

Afin d’établir l’exposition professionnelle à une substance donnée, il faut considérer tous les postes du quart de travail afin de calculer l’exposition quotidienne moyenne (c.-à-d. [C1t1 + C2t2 + … + Cntn] / [t1 + t2 +… + tn]) où C est la concentration mesurée de la substance (c.-à-d. le gaz anesthésique pour inhalation) et t est la durée de travail à ce poste, en heure). De plus, dans le cas où des produits aux effets similaires pourraient présenter un effet additif, il faut s’assurer que la somme des fractions du mélange (Rm) ne dépasse pas l’unité (Rm = C1/T1 + C2/T2 + … + Cn/Tn) où C est la concentration mesurée de l’anesthésiant et T est la VEMP permise (annexe I)(21).

L’article 107 de la section XI « ventilation et chauffage » complète les notions précédentes, c’est-à-dire que « toute source ponctuelle d'émission de gaz, de fumées, de vapeurs, de poussières ou de brouillards à un poste de travail fixe doit être pourvue d'un système de ventilation locale par extraction destiné à capter à la source même ces gaz, ces fumées, ces vapeurs, ces poussières et ces brouillards » (article 107)(21).

Tout système de recirculation de l'air doit être conçu conformément à l’article 108 du RSST de sorte que : « 1- la concentration des gaz, des fumées, des vapeurs, des poussières et des brouillards à tout poste de travail soit inférieure à la VEMP admissible dans le milieu de travail et à la concentration admissible de recirculation prévues à l'annexe I; 2- qu'il y ait une conduite destinée à évacuer l'air vicié à l'extérieur de l'établissement en cas de bris ou de mauvais fonctionnement du système de filtration de l'air; 3- qu'il n'y ait aucun rejet de fumée, de poussière ou de brouillard dans un local où cette poussière, cette fumée ou ce brouillard était absent avant la mise en marche du système de recirculation de l'air; 4- qu'il n'y ait aucune recirculation d'un gaz, d'une fumée, d'une vapeur, d'une poussière ou d'un brouillard, qui est identifié à l'annexe I comme une substance dont la recirculation est prohibée » (article 108)(21).

En parallèle, selon la section VI du RSST sur l’ « équipement individuel de protection respiratoire », dans la situation où « (…) la technologie existante ne permet pas à l'employeur de respecter les articles 40 et 41, et, dans le cas des travaux d'entretien, d'inspection ou de réparation hors atelier, ou de transport dans un endroit où les normes visées aux articles 40 et 41 ne sont pas respectées ou dans l'attente de la mise en œuvre des mesures requises pour respecter ces articles là où la technologie existe, l'employeur doit fournir gratuitement au travailleur et s'assurer qu'il porte l'équipement de protection respiratoire prévu au Guide des appareils de protection respiratoire utilisés au Québec, publié par l'Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail. L'équipement doit être choisi, ajusté, utilisé et entretenu conformément à la norme Choix, entretien et utilisation des respirateurs, CSA Z94.4-93. Un programme de protection respiratoire doit aussi être élaboré et mis en application conformément à cette norme » (article 45)(21).

Valeurs limites d’exposition

Afin de protéger les travailleurs exposés à des gaz anesthésiques pour inhalation, des valeurs limites d’exposition permises en partie par million (ppm) ou en mg/m3 sont adoptées par les autorités réglementaires et certaines sociétés savantes. Nous reproduisons au tableau 3 (voir annexe dans la version PDF) les valeurs limites d’exposition permises et recensées dans la documentation pour les gaz anesthésiques pour inhalation.

Il n’existe aucune norme canadienne ou américaine pour les gaz anesthésiques pour inhalation plus récemment commercialisés tels l’isoflurane, le sévoflurane et le desflurane. Aussi, les valeurs limites d’exposition varient beaucoup selon les pays, et certains ont des normes seulement pour la VEMP, la VECD, mais rarement pour les deux. Par exemple, aux États-Unis, les limites d’exposition ne sont pas réglementées par l’OSHA (Occupational Safety & Health Administration), mais le NIOSH recommande une limite plafond de 2 ppm, puisque la littérature recense
quelques effets à cette valeur(22-23). L’ACGIH (American Conference of Govermental Industrial Hygienists) a cependant choisi une limite de 50 ppm comme VEMP, en se basant sur les effets recensés pour le chloroforme et le trichloroéthylène(22,24).

Seule la Suède propose des VEMP et des VECD pour la majorité des gaz anesthésiques pour inhalation disponibles sur le marché suédois (25). Il existe des différences marquées entre les recommandations des valeurs limites d’exposition professionnelles de plusieurs pays et provinces. Par exemple la VEMP pour l’halothane est de 50 ppm au Québec(21), alors qu’elle est de 2 ppm pour l’Ontario(26) et la Colombie Britannique(27). Le Québec semble s’aligner sur les recommandations de l’ACGIH et de l’OSHA(28), tandis que l’Ontario et la Colombie-Britannique privilégient les recommandations du NIOSH(28). Ainsi, il apparaît raisonnable de proposer des mesures préventives afin de limiter l’exposition professionnelle aux gaz anesthésiques, même s’il n’y a pas de consensus sur les valeurs limites d’exposition.

Conclusion

L’exposition professionnelle aux gaz anesthésiques pour inhalation n’est pas sans risque. Cette revue documentaire a mis en évidence un risque accru d’avortement spontané, d’anomalies congénitales, d’accouchement prématuré, de génotoxicité, ainsi qu’un risque d’effets neurocomportementaux. Toutefois, deux revues systématiques portant sur les études de meilleures qualités concluent qu’il n’y a pas de risque accru pour les travailleurs exposés aux gaz anesthésiques pour inhalation. En présence de nombreux facteurs confondants tels le manque d’information sur le niveau d’exposition réel des travailleurs, l’administration concomitante de plusieurs agents, la présence d’autres facteurs de risques liés au travail et l’absence d’études solides avec un suivi à long terme, établir hors de tout doute un niveau d’exposition sécuritaire aux gaz anesthésiques pour inhalation sera une tâche ardue. Nous rappelons l’importance des mesures de prévention. À partir de cette revue documentaire, nous proposerons des recommandations encadrant l’utilisation sécuritaire des gaz anesthésiques pour inhalation dans la seconde partie de cet article présentée dans le prochain numéro du Bulletin d’information toxicologique.

Pour toute correspondance

Jean-François Bussières
Département de Pharmacie
Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine (CHUSJ)
3175, chemin de la Côte Sainte-Catherine, Montréal (Québec)  h2T 1C5
Téléphone : 514 345-4603
Télécopieur : 514 345-4820
Courriel : [email protected]

Références

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Numéro complet (BIT)

Bulletin d'information toxicologique, Volume 28, Numéro 1, janvier 2012