Ingestion de sels de cuivre

Auteur(s)
Renaud Tremblay
B. Sc. inf., CSPI, Infirmier clinicien, Centre antipoison du Québec
Olivier Jacques-Gagnon
B. Sc. inf., CSPI, Infirmier clinicien, Centre antipoison du Québec

Résumé

Plusieurs types de sels de cuivre sont utilisés dans différents domaines d’activité humaine. Historiquement, le cuivre a longtemps été employé dans le débridement des plaies en raison de ses propriétés astringentes et antiseptiques, jusqu’à ce que des cas de toxicité systémique soient rapportés. Malgré le nombre peu élevé de cas d’intoxication notés, le risque est toujours présent, car il existe des produits contenant de fortes concentrations de cuivre. Dans la majorité des cas, il y a une atteinte gastro-intestinale suivie d’une évolution favorable. Néanmoins, les professionnels de la santé doivent rester vigilants, puisque certaines intoxications peuvent être graves, et même fatales.

Introduction

Malgré un usage historique du cuivre sous diverses formes thérapeutiques, les cas d’intoxication aiguë par le cuivre sont restés relativement rares. Le cuivre a longtemps été utilisé dans le débridement des plaies en raison de ses propriétés astringentes et antiseptiques, jusqu’à ce que des cas de toxicité systémique soient rapportés(1). Ensuite, dans les années 1960, le cuivre a été employé comme agent émétique, surtout dans les cas d’ingestions potentiellement dangereuses chez les enfants. Après plusieurs décès, cette pratique dangereuse a été abandonnée(2,3). Aujourd’hui, on observe encore des cas d’intoxication par le cuivre, et l’ingestion de produits contenant une forte concentration de cuivre constitue la majorité de ces cas. Les produits en question peuvent être destinés tant à un usage industriel qu’à un usage domestique, par exemple les fongicides, les algicides et les poudres utilisées pour colorer les flammes d’un feu.

Description de cas

Cas 1

Le Centre antipoison du Québec (CAPQ) reçoit un appel du public concernant un enfant de 2 ans qui aurait ingéré jusqu’à un maximum de 15 g d’un produit permettant de colorer les feux de camp. Ce produit est composé de concentrations inconnues de sulfate de cuivre pentahydraté, de chlorure de cuivre et de chlorure de polyvinyle. Les symptômes mentionnés lors de l’appel initial, 5 minutes postingestion, se limitent à un vomissement. Cependant, au cours de l’appel, l’enfant vomit deux autres fois. Les vomissures n’ont pas de coloration bleu-vert. Malgré les recommandations du CAPQ de consulter sans attendre, l’enfant n’est conduit dans un centre hospitalier que le lendemain. Il aurait vomi jusqu’à sept fois en soirée et aurait refusé de déjeuner le lendemain. Lors de l’évaluation médicale, soit 17 heures postingestion, on note une brûlure au fond de la gorge sans dysphagie. La gastroscopie effectuée 28 heures postingestion révèle une érosion superficielle de 1 cm de diamètre sur la muqueuse gastrique. Le patient n’est soumis à aucune restriction alimentaire à la suite de l’examen. Les fonctions hépatique et rénale ainsi que la formule sanguine complète ont été suivies de près pendant l’hospitalisation, et les résultats sont toujours restés dans les limites de la normale. Vingt heures postingestion, la concentration sanguine de cuivre est de 15 µmol/L.

Cas 2

Le CAPQ reçoit un appel d’un centre hospitalier à propos d’un enfant de 5 ans qui aurait mis ses doigts dans du sulfate de cuivre et les aurait portés à sa bouche. Le sulfate de cuivre provient d’un algicide utilisé pour l’entretien des piscines. Il est impossible d’obtenir l’information exacte, mais le sulfate de cuivre était possiblement pentahydraté vu sa coloration bleue. Les symptômes indiqués lors de l’appel initial, 60 minutes postingestion, sont de la douleur abdominale et un seul vomissement, et les vomissures n’ont pas une coloration bleu-vert. La fonction hépatique et rénale ainsi que la formule sanguine sont restées dans les limites de la normale. Trois heures postingestion, la concentration sanguine de cuivre est normale à 17 µmol/L.

Cas 3

Le CAPQ reçoit un appel du public concernant un enfant de 4 ans qui aurait ingéré entre 5 et 15 ml d’un produit employé pour l’entretien des piscines. Ce produit était composé à 99 % de sulfate de cuivre pentahydraté. Les seuls symptômes rapportés lors de l’appel initial, 10 minutes postingestion, sont de la douleur abdominale et de la diaphorèse. Aucun vomissement spontané n’est mentionné. Le premier épisode de vomissement se produit 3 heures postingestion, et les vomissures n’ont pas de coloration bleu-vert. Étant donné que l’évaluation médicale ne révèle aucun signe de brûlure, aucune endoscopie n’est effectuée. La fonction hépatique, la fonction rénale de même que la formule sanguine sont restées sans particularités. Vu le peu de symptômes et l’évolution favorable, le cuivre n’a pas été dosé et l’enfant a obtenu son congé.

Discussion

Il existe divers types de sels de cuivre, et on y a recours dans plusieurs domaines. Comme la plupart des sels de cuivre sont relativement peu toxiques, il est important de déterminer la nature du produit qui en contient. La plupart des patients souffrant d’une intoxication aiguë par le cuivre ont été exposés à du cuivre ionique; un exemple serait le sulfate de cuivre formé de deux ions : le cation cuivre (Cu2+) et l’anion sulfate (SO4 2-). En fait, le sulfate de cuivre est la forme de cuivre qui est la plus facilement accessible et celle à laquelle le public risque le plus d’être exposé à domicile(5).

Les symptômes d’intoxication les plus fréquents sont l’apparition rapide de vomissements et de douleur abdominale. Parfois, les vomissements peuvent présenter une coloration bleu-vert, en fonction de la quantité de sels de cuivre ingérée. La douleur rétrosternale et le goût métallique dans la bouche sont également des manifestations fréquentes. Des symptômes tels que l’hémorragie digestive, l’ulcération et la perforation gastrique sont moins courants(6). Dans le cas des appels reçus par le CAPQ, les effets sont restés uniquement gastro-intestinaux. Les cas d’intoxication systémique sont donc très rares. Par contre, il ne faut pas banaliser les ingestions importantes de sels de cuivre, car elles pourraient s’avérer fatales.

Un rapport de cas a été présenté à l’American College of Medical Toxicology National Case Conference 2015(7). Ce rapport concernait une femme de 19 ans qui a tenté de se suicider en buvant une solution contenant 30 g de sulfate de cuivre. Lors de son arrivée au service des urgences, la patiente présente un pouls régulier de 104 battements par minute, une tension artérielle de 120/81 mm Hg, une température corporelle de 36,6 °C, une légère tachypnée de 24 respirations par minute avec une amplitude normale et une saturation d’oxygène à 96 % à l’air ambiant. Elle est alerte et orientée dans les trois sphères. Elle présente des vomissements persistants, d’une coloration bleue, qui ne contiennent pas de sang ni de bile. L’abdomen est souple et le péristaltisme s’avère normal. Une heure après son arrivée, elle est intubée à cause d’une dépression respiratoire et d’une hypoxémie. On soupçonne une aspiration bronchique. La radiographie pulmonaire est normale, et la bronchoscopie montre une coloration bleu-vert des muqueuses. Quant à la gastroscopie, elle révèle que la muqueuse a une coloration bleu-vert et que la patiente a une œsophagite, une gastrite et une duodénite, mais aucune ulcération de la muqueuse n’a été visualisée. Les douze heures suivant l’ingestion de la solution sont marquées par l’apparition de lésions pulmonaires aiguës, de méthémoglobinémie, d’acidémie métabolique et d’insuffisance rénale aiguë. Au cours des quatorze jours où la patiente a été hospitalisée, la créatinine sérique est passée de 148,72 µmol/L à 708,4 µmol/L, l’aspartate aminotransférase (AST) de 78 à 236, l’alanine aminotransférase (ALT) de 7 à 82, la bilirubine de 52,7 µmol/L à 214,2 µmol/L, l’hémoglobine de 119 g/L à 62 g/L et les plaquettes de 136 x 109/L à 25 x 109/L. Enfin, la méthémoglobine est montée jusqu’à 22 %. Les cinq premiers jours de son hospitalisation, la patiente a reçu de la pénicillamine. Elle a été dialysée dès le deuxième jour et à plusieurs reprises par la suite pour son insuffisance rénale. Elle a reçu du bleu de méthylène pour traiter la méthémoglobinémie, sans succès. Son état neurologique s’est détérioré continuellement pendant quatorze jours. Les parents ont alors demandé l’arrêt des traitements, et la patiente est décédée peu de temps après.

L’intoxication par le cuivre ne provoque donc pas uniquement des symptômes gastro-intestinaux. En plus d’être sensible au stress oxydatif entraîné par le cuivre ionisé, le foie est aussi l’organe qui en reçoit la plus forte concentration. L’hépatotoxicité est donc une manifestation fréquente de toxicité systémique(8). Les lésions aux hépatocytes et l’hémolyse peuvent causer un ictère. L’hémolyse est plus commune que l’hépatotoxicité et survient invariablement chez les patients qui ont développé des lésions hépatiques(9,10). La destruction des globules rouges est non seulement causée par l’effet oxydant du cuivre, mais aussi par une inhibition de la glucose-6-phosphate déshydrogénase (G6PD), une enzyme nécessaire à la protection des érythrocytes contre les substances oxydantes(11). Une fois le passage hépatique terminé, la majorité du cuivre est habituellement liée à une protéine nommée la céruléoplasmine. Habituellement, de 85 à 95 % du cuivre est lié à cette protéine, et le reste se trouve sous forme libre. C’est cette forme libre qui a un potentiel de toxicité et c’est cette même forme qui augmente lors d’une ingestion massive. Le cuivre libre sous forme ionisée entre dans un cycle de production d’ions superoxydes et ceux-ci seraient la cause de plusieurs symptômes systémiques qui se manifestent lors d’une intoxication par le cuivre(4). En plus d’une hémolyse, lors d’une intoxication par le cuivre, une méthémoglobinémie peut survenir(9). L’insuffisance rénale est possiblement causée par l’hémolyse massive et par l’effet oxydatif du cuivre(11). Le patient peut également présenter une encéphalopathie se produisant possiblement à la suite de l’atteinte hépatique.

On se doit d’être prudent lors de l’interprétation d’un dosage de cuivre sanguin. Le dosage du cuivre peut être fait dans le sang complet ou seulement dans le sérum, mais il pourrait aussi se faire par biopsie hépatique. Le dosage sanguin de cuivre, bien qu’il soit très imparfait et ait peu de valeur pronostique, aurait une meilleure corrélation avec la clinique que dans le sérum. Plusieurs problèmes de santé peuvent rendre les résultats sériques difficilement interprétables(12). De plus, certains cas d’intoxication par le cuivre ont présenté une symptomatologie grave tout en ayant des dosages de cuivre sanguin dans les limites de la normale(11,13).

Conclusion

Il est important de savoir quel type de cuivre le patient a ingéré afin de connaître son risque réel de subir une intoxication. Les intoxications par le cuivre présentant des effets graves sont plutôt rares. Les ingestions exploratoires des enfants et les absorptions accidentelles des adultes provoquent seulement, la plupart du temps, des symptômes gastro-intestinaux. Les patients se décontaminent rapidement grâce aux propriétés émétiques de la substance. Par contre, une ingestion potentiellement massive de sels de cuivre, comme dans le cas d’un geste suicidaire, peut avoir des conséquences désastreuses. Il est donc primordial de ne pas banaliser ce genre de situation.

Remerciements

Les auteurs souhaitent exprimer leur gratitude envers monsieur Pierre-André Dubé et la Dre Maude St-Onge pour la révision du présent document ainsi que pour leurs précieux commentaires.

Toxiquiz

Quel est, ou quels sont, le ou les mécanisme(s) d’action engendrant la toxicité des sels de cuivre?

A.  Effet oxydant.

B.  Inhibition de la glucose-6-phosphate déshydrogénase (G6PD).

C.  Effet irritant.

D.  Toutes ces réponses.

Vous voulez connaître la réponse? Voir la section Réponses du bulletin complet en version PDF.

Pour toute correspondance

Olivier Jacques-Gagnon
Pavillon Jeffery Hale
Centre antipoison du Québec
1270, chemin Sainte-Foy, 4e étage
Québec (Québec)  G1S 2M4
Courriel : [email protected]

Références

  1. Holtzman, NA, Elliott DA, Heller RH. Copper intoxication. Report of a case with observations on ceruloplasmin. N Engl J Med. 1966;275(7): 347-52.
  2. Liu J, Kashimura S, Hara K, Zhang G. Death following cupric sulfate emesis. J Toxicol Clin Toxicol. 2001;39(2):161-3.
  3. Stein RS, Jenkins D, Korns ME. Letter: Death after use of cupric sulfate as emetic. JAMA. 1976;235(8):801.
  4. Brewer GJ. Copper toxicity in the general population. Clin Neurophysiol. 2010;121(4):459-60.
  5. Chapiter 95: Copper. Dans: Goldfrank LR, Hoffman SR, Howland MA, Lewin NA, Nelson, LS. Goldfrank’s toxicologic emergencies. 10e éd. McGraw-Hill Education; 2015. p. 1210-11.
  6. Araya M, Olivares M, Pizarro F, Llanos A, Figueroa G, Uauy R. Community-based randomized double-blind study of gastrointestinal effects and copper exposure in drinking water. Environ Health Perspect. 2004;112(10):1068-73.
  7. Nelson LS, Repplinger D, Nguyen V, Rao R. A bad case of the blues. American College of Medical Toxicology National Case Conference. 2015.
  8. Jantsch W, Kulig K, Rumack BH. Massive copper sulfate ingestion resulting in hepatotoxicity. J Toxicol Clin Toxicol.1984-1985;22(6): 585-8.
  9. Saravu K, Jose, J, Bhat MN, Jimmy B, Shastry BA. Acute ingestion of copper sulphate: a review on its clinical manifestations and management. Indian J Crit Care Med. 2007;11(2):74-80.
  10. Sood N, Verma, PK. Life-threatening haemolysis in a patient with acute copper sulphate poisoning. Indian J Anaesth. 2011;55(2):204-5.
  11. Mortazavi F. Jafari-Javid A. Acute renal failure due to copper sulphate poisoning; a case report. Iran J Pediatr.2009;19(1):75-8.
  12. Alan HB. Tietz clinical guide to laboratory tests. 4e éd. St-Louis, Missouri : Saunders Elsevier; 2006. p. 292-95.
  13. Naha K, Saravu K, Shastry BA. Blue vitriol poisoning: a 10-year experience in a tertiary care hospital. Clin Toxicol (Phila). 2012;50(3):197-201.

Tremblay R, Jacques-Gagnon O. Ingestion de sels de cuivre. Bulletin d’information toxicologique 2015;31(3):5-8. [En ligne] https://www.inspq.qc.ca/toxicologie-clinique/ingestion-de-sels-de-cuivre

Numéro complet (BIT)

Bulletin d'information toxicologique, Volume 31, Numéro 3, septembre 2015