Veille scientifique : lutte contre le tabagisme, volume 13, numéro 3, décembre 2023

Ce numéro spécial de la veille scientifique Lutte contre le tabagisme présente une sélection d’écrits qui traitent de l’usage de la cigarette électronique sous l’angle des inégalités sociales. Ces publications rapportent des disparités de l’usage de la cigarette électronique seule ou en combinaison avec la cigarette de tabac ou avec le cannabis en fonction de la défavorisation du territoire, du statut socioéconomique de l’individu, du type de domicile, de l’âge, du sexe, de l’identité de genre ou de l’ethnicité.


L’inégalité de revenu à l’échelle des divisions de recensement et son association avec l’usage de la cigarette de tabac, de la cigarette électronique ou du cannabis chez les élèves canadiens du secondaire

Contexte

L’usage de tabac, de cannabis et de cigarette électronique représente une préoccupation de santé publique du fait de leurs effets négatifs sur la santé des jeunes et du risque de développement d’une dépendance favorisant le maintien de leur usage dans le temps. Quoique le rôle de l’inégalité de revenu ait été étudié en relation avec la consommation dalcool chez les adolescents, son effet sur l’usage du cannabis, du tabac ou de la cigarette électronique demeure moins bien connu.

Objectifs

Les données de l’étude longitudinale COMPASS recueillies entre 2018 et 2019 auprès d’élèves du secondaire de Colombie-Britannique, d’Alberta, de l’Ontario et du Québec ont été utilisées pour étudier la relation entre l’inégalité de revenu et l’usage quotidien de la cigarette de tabac dans le dernier mois, l’usage quotidien de la cigarette électronique dans le dernier mois ou l’usage mensuel du cannabis dans la dernière année. La mesure d’inégalité de revenu est définie ici en fonction du coefficient Gini1, calculé à l’échelle des divisions de recensement (DR) du Canada pour l’année 2016.

Des modèles de régression logistique multiniveaux à trois niveaux (division de recensement, école, individu) ont été employés pour étudier la relation entre l’usage de chacune des trois substances mentionnées et l’inégalité de revenu dans la DR de l’école fréquentée. L’échantillon inclus dans l’étude comprenait 74 501 étudiants âgés de 12 à 19 ans, fréquentant une de 136 écoles et provenant de l’une des 43 divisions de recensement. Les analyses ont tenu compte de plusieurs caractéristiques individuelles et contextuelles, soit l’âge, le genre, l’ethnicité, le montant d’argent disponible sur une base hebdomadaire, le type de réseau scolaire (public ou privé), la proportion de ménages de minorités visibles, le revenu médian du ménage après déductions fiscales ainsi que la taille de la population résidant au sein de la DR.

Qu’est-ce qu’on y apprend?

  • La présence d’inégalité de revenu dans la DR de l’école augmente la probabilité de l’usage quotidien de la cigarette électronique chez les filles et pas chez les garçons (rapport de cotes [RC] pour l’interaction entre le genre et l’inégalité de revenu : 0,87, IC 95 % 0,80-0,94). Autrement dit, les filles qui fréquentent une école située dans une DR où il y a d’importants écarts de revenu ont une plus forte probabilité d’avoir fait un usage quotidien de la cigarette électronique, alors qu’on n’observe pas cet effet chez les garçons;
  • L’étude a aussi révélé une association positive entre l’usage quotidien de cannabis et l’inégalité de revenu dans la DR de l’école (RC = 1,25; IC 95 % 1,01-1,54) d’après un modèle non ajusté. Cependant, cette association devient non significative lorsqu’on inclut d’autres variables dans le modèle, comme l’argent de poche, l’origine ethnique, l’âge et le sexe.
  • En ce qui a trait à l’usage quotidien de la cigarette de tabac, aucune association significative n’a été observée par rapport à l’inégalité de revenu dans la DR de l’école.
  • Que ce soit par rapport à l’usage quotidien de la cigarette de tabac, l’usage quotidien de la cigarette électronique ou l’usage quotidien de cannabis, aucune association significative n’a été observée en lien avec l’inégalité de revenu dans la DR de résidence.

L’étude démontre que la relation entre l’inégalité de revenu et l’usage de la cigarette électronique varie selon le genre chez les élèves canadiens, un effet statistiquement significatif étant observé chez les filles, mais pas chez les garçons. Ce constat souligne le rôle important du genre dans l’environnement social des jeunes à l’école et indique la nécessité d’en tenir compte lors du développement d’interventions s’adressant aux élèves du secondaire, et ce, particulièrement dans les écoles de milieux présentant une forte inégalité de revenu.

Quelques limites méthodologiques de cette étude méritent être soulignées, tout d’abord l’impossibilité de tenir compte d’autres facteurs qui pourraient potentiellement expliquer la relation entre l’inégalité de revenu et l’usage de substances, par exemple le revenu absolu du ménage. Cette limite est toutefois atténuée par le fait que les analyses ont été ajustées en fonction du revenu médian du ménage au niveau de la DR. Il est aussi important de rappeler que l’étude COMPASS est réalisée auprès d’un échantillon de convenance (non aléatoire) d’écoles secondaires à travers le Canada, ce qui limite les possibilités de généralisation des résultats à l’ensemble de la population d’élèves du secondaire au pays.

Benny C, Steele BJ, Patte KA, Leatherdale ST, Pabayo R. Income inequality and daily use of cannabis, cigarettes, and e-cigarettes among Canadian secondary school students: results from COMPASS 2018-19. Int J Drug Policy 2023;115:104 014.

1. Le coefficient Gini est utilisé pour mesurer le degré d’inégalité dans la distribution de la richesse au sein d’un territoire donné. Un coefficient de 0 indique une parfaite égalité de revenu et un coefficient de 1 indique une parfaite inégalité. (StatsDirect. (2019). Gini Coefficient of Inequality. https://statsdirect.com/help/content/nonparametric_methods/gini.htm)

Écarts dans l’usage de la cigarette de tabac ou de la cigarette électronique chez les élèves selon les caractéristiques sociodémographiques et le statut socioéconomique du quartier de résidence

Contexte

L’existence de disparités socioéconomiques en matière d’usage de la cigarette de tabac chez les adolescents a déjà été identifiée dans la littérature internationale. Ce constat reste toutefois à valider dans différents contextes en ce qui concerne la cigarette électronique, étant donné l’arrivée relativement récente du produit sur le marché. Des professionnels de la santé ont déjà exprimé l’inquiétude que l’usage de la cigarette électronique constitue lui aussi un phénomène se répartissant inégalement dans la population selon le statut socioéconomique (Moss et Keyes, 2020), ce qui impliquerait le développement de nouvelles inégalités de santé.

Objectifs

Les auteurs de l’étude visaient à estimer l’influence de facteurs individuels (âge, sexe, niveau scolaire, ethnicité, niveau de scolarité du ménage) et contextuels (mesure de défavorisation socioéconomique du quartier, milieu rural ou urbain) sur l’usage de la cigarette de tabac ou de la cigarette électronique au cours de la vie et au cours des 30 jours précédents.

Les analyses ont été effectuées à partir d’un échantillon de 78 740 d’élèves de 6e, 8e, 10e et 12e années ayant participé à l’édition 2019 de l’enquête Prevention Needs Assessment (PNA), menée en Utah tous les deux ans. Le degré de défavorisation socioéconomique des quartiers a été déterminé en se basant sur les estimations du American Community Survey (ACS) portant sur les proportions de familles sous le seuil de pauvreté, de personnes bénéficiaires d’aide sociale, de personnes de 25 ans et plus n’ayant pas de diplôme d’études secondaires, et de personnes sans emploi faisant partie de la population active. Une analyse en composantes principales a été réalisée pour produire la mesure de défavorisation socioéconomique du quartier à partir des estimations de l’ACS.

Des modèles de régression logistique multiniveaux ont permis d’estimer la probabilité d’usage de la cigarette de tabac et/ou de la cigarette électronique au cours de la vie et des 30 derniers jours en fonction des facteurs individuels et contextuels examinés.

Qu’est-ce qu’on y apprend?

  • Un degré plus élevé de défavorisation socioéconomique du quartier de résidence augmente de manière statistiquement significative la probabilité que les élèves aient fait usage de la cigarette électronique (rapport de cotes ajusté [RCA] = 1,12; IC 95 % : 1,06-1,19), de la cigarette de tabac (RCA = 1,14; IC 95 %:1,08-1,21) ou des deux produits (RCA = 1,16; IC 95 %:1,08-1,24) au cours de leur vie, mais pas la probabilité d’usage au cours des 30 jours précédents.
  • Un niveau d’éducation du ménage plus élevé était associé à une plus faible probabilité d’usage de la cigarette de tabac ou de la cigarette électronique, et ce, autant pour l’usage au cours de la vie que l’usage au cours du mois précédent.
  • Les élèves de niveau scolaire plus avancé étaient plus susceptibles d’avoir fait usage de la cigarette de tabac ou de la cigarette électronique au cours de leur vie ou au cours du mois précédent.
  • Comparativement aux filles, les garçons présentaient une plus forte probabilité d’usage de la cigarette de tabac ou de la cigarette électronique au cours de leur vie, mais pas au cours du mois précédent.

Ces résultats indiquent l’existence de disparités socioéconomiques similaires en matière d’usage de la cigarette électronique ou de la cigarette de tabac chez les élèves de l’Utah. Les auteurs soulignent que les facteurs de niveau individuel et contextuel étaient indépendamment associés à l’usage de la cigarette de tabac ou de la cigarette électronique, indiquant que l’usage de ces substances peut être simultanément influencé par les caractéristiques des élèves et celles de leur environnement.

Les résultats suggèrent aussi que les élèves faisant usage de la cigarette de tabac utilisent également la cigarette électronique, ce qui signifie que les possibles effets délétères associés à son usage sont vraisemblablement additionnés à ceux générés par le tabagisme. Comme il semble que les groupes défavorisés sur le plan socioéconomique soient plus susceptibles de faire un double usage de la cigarette électronique et de la cigarette de tabac, ils sont possiblement plus à risque de vivre des conséquences sanitaires liées à l’usage de ces produits, accroissant par le fait même les inégalités sociales de santé préexistantes.

Les auteurs incitent toutefois à la prudence quant à généraliser les résultats obtenus à d’autres contextes, l’Utah étant un État américain où les normes sociales défavorables à l’usage de substances psychoactives sont très fortes. Il est possible que les associations observées dans l’étude ne soient pas les mêmes dans un autre État ou territoire ayant des normes plus permissives à l’égard de l’usage de substances. Notons de plus que les modèles de régression logistique employés ne contribuent qu’à expliquer une fraction de la variance totale du phénomène, plusieurs facteurs susceptibles de jouer un rôle sur l’usage de la cigarette de tabac ou de la cigarette électronique chez les élèves n’ayant pu être pris en compte. Il doit aussi être considéré que le devis transversal de cette étude ne permet pas d’établir de lien de causalité entre les caractéristiques sociodémographiques des élèves, le niveau de défavorisation socioéconomique de leur quartier et leur comportement en matière d’usage de la cigarette de tabac et de la cigarette électronique.

Cambron, C, & Thackeray, KJ. Socioeconomic differences in lifetime and past 30-day e-cigarette, cigarette, and dual use: a state-level analysis of Utah youth. International Journal of Environmental Research and Public Health. 2022;19(13).

Référence supplémentaire : Moss, S. L., & Keyes, K. M. (2020). Commentary on Foxon & Selya (2020): social gradients in long-term health consequences of cigarette use-will adolescent e-cigarette use follow the same trajectory? Addiction.

L’usage de la cigarette électronique examiné sous l’angle des inégalités socioéconomiques chez les jeunes, les adolescents et les adultes au Royaume-Uni

Contexte

L’usage de la cigarette électronique, du fait qu’il contribue au développement de la dépendance à la nicotine, peut mener à l’initiation au tabagisme chez les jeunes. Il suscite par contre un intérêt en tant que moyen potentiel de réduction des méfaits du tabagisme, puisqu’il pourrait favoriser le renoncement au tabac chez les fumeurs. Ainsi, à l’échelle de la population, l’usage de la cigarette électronique est susceptible d’influencer à la hausse ou à la baisse la prévalence du tabagisme, cette influence pouvant varier selon le niveau socioéconomique et générer des inégalités sociales de santé. Il apparaît ainsi pertinent de l’étudier sous l’angle des inégalités socioéconomiques et du statut de fumeur afin de mieux comprendre son impact potentiel sur les inégalités de santé.

Objectifs

Cette étude examine les inégalités socioéconomiques en lien avec l’usage de la cigarette électronique en relation avec le fait d’avoir fumé ou non la cigarette de tabac. Elle visait à répondre aux questions suivantes : la position socioéconomique est-elle associée à l’usage de la cigarette électronique, et cette association varie-t-elle selon le statut tabagique? Les inégalités socioéconomiques sont-elles comparables chez les anciens fumeurs selon qu’ils fassent ou non usage de la cigarette électronique? L’échantillon à l’étude provient de la septième vague (janvier 2015 à mai 2017) de l’étude longitudinale des ménages du Royaume-Uni (UK Household Longitudinal Study). Il inclut 3 291 jeunes âgés de 10 à 15 ans et 35 367 adolescents et adultes âgés de 16 ans et plus.

Le statut socioéconomique des participants à l’étude a été mesuré à l’aide d’un index de défavorisation socioéconomique basé sur le plus haut niveau d’éducation du ménage, l’occupation professionnelle la plus avantageuse du ménage et le revenu net du ménage. Les adolescents et les adultes qui font usage de la cigarette électronique ont été comparés à ceux qui ne le font pas, en fonction de leur statut tabagique (fumeurs actuels, anciens fumeurs, non-fumeurs). Seulement deux groupes (fumeurs et non-fumeurs) ont été considérés chez les jeunes en raison de leur faible prévalence de tabagisme. Les analyses consistaient en la production de modèles structurels marginaux tenant compte de plusieurs covariables, soit le genre, l’âge, le pays, l’ethnicité, le statut matrimonial, la présence d’enfants dans le foyer et la date de l’entrevue.

Qu’est-ce qu’on y apprend?

Cette étude, effectuée auprès d’un échantillon représentatif de la population du Royaume-Uni, met en évidence la relation complexe entre les inégalités socioéconomiques et l’usage de la cigarette électronique selon l’âge et le statut tabagique. Elle révèle notamment que :

  • La défavorisation socioéconomique était significativement associée à l’usage de la cigarette électronique chez les jeunes n’ayant jamais fumé (rapport de cotes [RC] = 1,17; IC 95 % : 1,03‑1,34) ainsi que chez les adolescents et les adultes anciens fumeurs (RC = 1,17; IC 95 % : 1,09-1,26), mais pas chez les adolescents et les adultes non-fumeurs (RC = 0,98; IC 95 % : 0,91‑1,07) ou fumeurs (RC = 1,00; IC 95 % : 0,93-1,07).
  • La défavorisation socioéconomique était aussi associée à une moins grande probabilité d’être un ancien fumeur chez les adolescents et les adultes ayant déjà fumé, cette association étant un peu plus faible chez les utilisateurs de cigarette électronique (RC = 0,88; IC 95 % : 0,82-0,95) que chez les non-utilisateurs (RC = 0,82; IC 95 % : 0,80-0,84).

Les disparités observées en matière d’usage de la cigarette électronique chez les jeunes non-fumeurs et chez les adolescents et les adultes anciens fumeurs suggèrent un potentiel d’augmentation des inégalités de santé dans le futur. La préoccupation selon laquelle les disparités socioéconomiques en matière d’usage de la cigarette électronique chez les jeunes non-fumeurs pourraient se traduire en inégalités de santé peut toutefois être nuancée par la possibilité qu’une partie de ces disparités remplace des inégalités de santé imputables au tabagisme.

Cette étude comporte un certain nombre de limites d’ordre méthodologique. Notamment, le devis transversal ne permet pas d’examiner la dynamique longitudinale du phénomène à l’étude. Aussi, le questionnaire ne permettait pas de distinguer les différents types de cigarettes électroniques ni de mesurer leur fréquence d’utilisation. Il est également possible que des facteurs non considérés dans l’étude aient un effet sur l’association entre la position socioéconomique et l’usage de la cigarette électronique.

Green MJ, Gray L, Sweeting H, Benzeval M. Socioeconomic patterning of vaping by smoking status among UK adults and youth. BMC Public Health. 2020;20(1):183.

Les adolescents habitant un foyer temporaire ou instable sont plus enclins à faire un double usage de tabac et de cigarette électronique

Contexte

Le type de foyer, en particulier lorsque celui-ci est instable, est un déterminant de la santé important qui est notamment associé à l’usage de tabac et de nicotine. En effet, certaines études ont démontré que l’usage de tabac est très répandu parmi les jeunes en situation d’itinérance et également parmi ceux qui sont en famille d’accueil ou en centre jeunesse. Toutefois, les différences de prévalence d’usage de tabac et de cigarette électronique chez les adolescents vivant dans d’autres types de domiciles sont encore peu étudiées.

Objectifs

Cette étude vise à documenter la prévalence d’usage des produits du tabac et de la cigarette électronique chez les adolescents vivant dans un domicile non traditionnel, temporaire ou instable comparativement à ceux vivant dans un foyer traditionnel et stable.

Les analyses ont porté sur les données recueillies auprès de 931 355 participants à l’enquête California Healthy Kids Survey(CHKS) menée au cours des années scolaires 2017-2018 et 2018‑2019. Les auteurs ont analysé l’usage au cours des 30 jours précédents de la cigarette de tabac seulement, de la cigarette électronique seulement et l’usage des deux produits selon le type de domicile. Les types de domiciles étaient : (1) un domicile avec au moins un parent, un tuteur ou une personne de la parenté (catégorie de référence); (2) un domicile où vit plus d’une famille; (3) le domicile d’un ami; (4) une famille d’accueil, un centre jeunesse ou en attente de placement; (5) un hôtel, un motel, un refuge, une voiture, un camping ou un autre logement de transition ou temporaire; (6) d’autres situations. Les analyses ont tenu compte du niveau scolaire, de l’origine ethnique, du niveau de scolarité des parents, du genre et de l’orientation sexuelle.

Qu’est-ce qu’on y apprend?

  • Tout d’abord, 92 % des participants ont rapporté vivre dans un domicile traditionnel et plus de 90 % n’avoir pas fait usage de tabac ni de cigarette électronique au cours des 30 jours précédant l’enquête. Comparativement à ceux résidant dans un domicile traditionnel, les participants résidant dans un domicile non traditionnel avaient de plus fortes probabilités de fumer des cigarettes de tabac (le rapport de cotes ajusté [RCA] varie entre 3,16 et 3,40, p < 0,0001), de faire usage de cigarettes électroniques (le RCA varie entre 1,53 et 1,88, p < 0,0001) ou de faire usage des deux produits (le RCA varie entre 3,73 et 5,83; p < 0,0001). Les différences selon le type de domicile ne s’expliquaient pas entièrement par des différences de nature sociodémographique.
  • Les auteurs font remarquer que les écarts selon le type de domicile sont plus marqués pour l’usage de la cigarette de tabac et l’usage combiné de cigarettes de tabac et de cigarettes électroniques, comparativement à l’usage de cigarette électronique seulement.

Les auteurs soulignent quelques limites méthodologiques de leur étude en rappelant qu’elle ne permet pas d’inférer de lien de causalité entre l’usage des produits du tabac ou des cigarettes électroniques, et le type de domicile. Ils appellent aussi à la prudence par rapport aux possibilités d’étendre les résultats obtenus à d’autres populations.

Cette analyse met en évidence les cibles potentielles d’interventions en amont, soit la qualité et la stabilité du domicile dans lequel les jeunes évoluent, en plus de contribuer à identifier les groupes prioritaires pour la planification des interventions de prévention.

Felner JK, Calzo JP. Housing status as a social determinant of disparities in adolescent smoking, vaping, and dual use of cigarettes and e-cigarettes. Addictive Behaviors. 2023;141:107 631.

Les disparités en matière d’usage de la cigarette électronique chez les adolescents selon l’identité de genre et l’origine ethnique

Contexte

Bien que la littérature concernant la probabilité de vapoter en fonction de l’identité de genre chez les adolescents ne soit pas abondante, certains écrits scientifiques (Day et al., 2017; Johnson et al., 2019) indiquent que les adolescents transgenres sont plus portés à fumer et à vapoter que les cisgenres2. Pour leur part, les disparités en matière de vapotage par rapport à l’influence conjointe de l’identité de genre et de l’origine ethnique sont encore moins bien connues. Les auteurs de cette étude ont cherché à tester une hypothèse voulant que les adolescents transgenres non blancs soient plus portés à faire usage de la cigarette électronique du fait qu’ils seraient exposés au racisme et à une marginalisation au niveau individuel et structurel.

Objectifs

Cette étude vise à examiner les variations de la prévalence du vapotage selon l’identité de genre et l’origine ethnique à partir d’un échantillon de 953 445 élèves de la 6e à la 12e année ayant participé au California Healthy Kids Survey (CHKS) au cours des années scolaires 2017-2018 et 2018-2019. Les auteurs ont employé des modèles linéaires mixtes généralisés stratifiés selon l’identité de genre et l’ethnicité afin de comparer la probabilité de vapoter au cours des 30 jours précédents en fonction de ces caractéristiques. La fréquence de vapotage a été analysée en quatre catégories : aucun jour, un jour, deux à neuf jours, 10 jours ou plus. Ces modèles tenaient compte du niveau scolaire, de l’orientation sexuelle et du niveau de scolarité des parents.

Qu’est-ce qu’on y apprend?

Cette étude a identifié des disparités marquées en matière de vapotage chez les adolescents californiens. Elle montre notamment que :

  • Chez les élèves transgenres, tous les groupes ethniques, à l’exception des Asiatiques, présentaient une plus forte fréquence de vapotage au cours des 30 jours précédents que les élèves s’identifiant comme Blancs. Inversement, les élèves cisgenres de diverses origines ethniques (hispanique, asiatique, noire ou afro-américaine, multiraciale) rapportaient une plus faible fréquence de vapotage que les élèves s’identifiant comme Blancs.
  • Les adolescents transgenres sont portés à vapoter plus fréquemment que les cisgenres. La différence la plus élevée a été notée entre les transgenres et les cisgenres noirs ou afro-américains (rapport de cotes ajusté [RCA] = 6,05; IC 95 % : 4,76-7,68), et la moins marquée entre les transgenres et les cisgenres blancs (RCA = 1,20; IC 95% : 1,06-1,35).

Les résultats amènent les auteurs à affirmer que les élèves transgenres appartenant à un groupe ethnique autre que blanc sont plus vulnérables face au risque de vapoter et constitueraient ainsi une population à prioriser dans les activités de prévention et de réduction du vapotage.

Quelques limites méthodologiques doivent cependant être soulignées. Les auteurs appellent notamment à la prudence quant à généraliser ces résultats à d’autres contextes, mentionnant qu’il est possible que les catégories d’identités de genre utilisées ne reflètent pas toute la diversité existante. Il est aussi probable que les sept catégories conçues pour classifier les origines ethniques ne soient pas assez raffinées pour pouvoir distinguer les identités ethniques complexes.

Selon le recensement de la population, 10 155 jeunes de 15 à 34 ans étaient transgenres ou non binaires au Québec en 2021, soit environ 1 jeune sur 200 (Institut de la statistique du Québec, 2022). Dans un contexte où il existe de multiples groupes ethniques et diverses identités de genre au Québec, et sachant que les principes de la Stratégie pour un Québec sans tabac 2020-2025 (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2020) préconisent l’amélioration des conditions de vie et la collaboration avec des populations vulnérables, les résultats de cette étude s’avèrent intéressants pour les acteurs de santé publique œuvrant dans le domaine de la lutte contre le tabagisme.

Felner JK, Andrzejewski J, Strong D, Kieu T, Ravindran M, Corliss HL. Vaping disparities at the intersection of gender identity and race/ethnicity in a population-based sample of adolescents. Nicotine Tob Res. 2022;24(3):349-357.

Références supplémentaires :
Day, J. K., Fish, J. N., Perez-Brumer, A., Hatzenbuehler, M. L., & Russell, S. T. (2017). Transgender youth substance use disparities: results from a population-based sample. The Journal of Adolescent Health: Official Publication of the Society for Adolescent Medicine, 61(6), 729‑735.
Johnson, S. E., O’Brien, E. K., Coleman, B., Tessman, G. K., Hoffman, L., & Delahanty, J. (2019). Sexual and gender minority U.S. youth tobacco use: population assessment of tobacco and health (PATH) study wave 3, 2015-2016. American Journal of Preventive Medicine, 57(2), 256‑261.
Institut de la statistique du Québec. (2022). Diversité de genre.
Ministère de la Santé et des Services sociaux. (2020). Stratégie pour un Québec sans tabac 2020-2025.

2. Le terme « transgenre » réfère à une personne dont l’identité de genre ne correspond pas à son sexe assigné à la naissance par l’opposition au « cisgenre » se référant à une personne dont l’identité de genre corresponde à son sexe assigné à la naissance (Institut de la statistique du Québec, 2022).

Le vapotage de nicotine ou de cannabis chez les adultes américains selon certaines caractéristiques sociodémographiques

Contexte

Alors que les liens entre l’usage de la cigarette de tabac et l’usage de cannabis chez les adultes sont largement documentés, la nature de la relation entre le vapotage de nicotine et le vapotage de cannabis n’est toujours pas bien définie. Bien qu’un certain nombre d’études épidémiologiques sur le vapotage de nicotine et de cannabis aient été menées au cours des dernières années, elles avaient tendance à se concentrer sur les adolescents et les jeunes adultes plutôt que sur la population générale de vapoteurs. Comme les vapoteurs plus âgés sont susceptibles de présenter des caractéristiques différentes des adolescents et des jeunes adultes, il existe un intérêt à documenter leur usage de produits de vapotage contenant de la nicotine ou du cannabis en fonction de leurs caractéristiques sociodémographiques, dont leur niveau de scolarité et leur revenu.

Objectifs

Les auteurs de cette étude visent à mieux comprendre les patrons d’usage de nicotine et de cannabis chez les adultes vapoteurs et à déterminer s’ils diffèrent en fonction de l’âge, du sexe, de l’ethnicité, de l’orientation sexuelle et du statut socioéconomique. Cette démarche peut permettre d’identifier des groupes plus susceptibles de vapoter à la fois de la nicotine et du cannabis, et de favoriser l’adaptation des interventions en ce sens. Les analyses ont été effectuées en utilisant l’échantillon de 3 795 participants âgés de 18 ans et plus de la quatrième vague de l’étude longitudinale Population Assessment of Tobacco and Health Study (PATH), menée aux États-Unis de décembre 2016 à janvier 2018.

Les participants ont été classifiés selon le type de substance vapotée au cours des 30 jours précédents : 1) nicotine seulement; 2) cannabis seulement; 3) nicotine et cannabis; 4) liquides ne contenant ni nicotine ni cannabis. Outre les analyses bivariées utilisées afin de vérifier l’existence d’écarts dans le vapotage de nicotine ou de cannabis selon les caractéristiques sociodémographiques étudiées, des modèles de régression logistique multinomiale ont été employés pour examiner les prédicteurs sociodémographiques de l’usage seul ou conjoint des deux substances.

Qu’est-ce qu’on y apprend?

  • Plus de la moitié des vapoteurs adultes (54 %) ont uniquement consommé de la nicotine au cours des 30 jours précédents, 7 % du cannabis uniquement, 24 % de la nicotine et du cannabis et 15 % ont vapoté des liquides sans nicotine ni cannabis;
  • Une plus forte proportion d’hommes que de femmes ont vapoté de la nicotine et du cannabis au cours des 30 jours précédents (26,5 % c. 20 %);
  • Des différences marquées sont observées selon l’âge. Comparativement aux jeunes adultes de 18-24 ans (37 %), une plus forte proportion d’adultes de 25-34 ans (52,5 %) ou de 35 ans ou plus (67 %) vapotaient uniquement de la nicotine. Inversement, les adultes de 35 ans ou plus étaient proportionnellement moins nombreux que les 18-24 ans à avoir vapoté du cannabis seulement (6 % c. 11 %), de la nicotine et du cannabis (16 % c. 30,5 %), ou des liquides de vapotage ne contenant pas de nicotine ou de cannabis (11,5 % c. 21 %);
  • Les adultes s’identifiant comme Blancs étaient proportionnellement plus nombreux que ceux s’identifiant comme Noirs ou Hispaniques à avoir vapoté uniquement de la nicotine (60 % c. 45,5 % et 37 % respectivement); une plus forte proportion de vapoteurs hétérosexuels (55 %) que de vapoteurs gais, lesbiennes, bisexuels ou autres (47 %) ont consommé de la nicotine uniquement, l’inverse étant observé par rapport au vapotage de nicotine et de cannabis (23 % c. 30,5 %);
  • Selon les modèles de régression logistique multinomiale ajustés, les 18-24 ans étaient au moins trois fois plus portés que les adultes âgés de 35 ans ou plus à vapoter du cannabis seulement (rapport de cotes ajusté [RCA] = 3,19; IC 95 % : 1,89-5,39), de la nicotine et du cannabis (RCA = 3,13; IC 95 % : 2,46-3,98) ou des liquides sans nicotine ni cannabis (RCA = 3,18; IC 95 % : 2,50-4,01);
  • Les adultes s’identifiant comme Hispaniques (RCA = 3,73; IC 95 % : 2,47-5,61) ou comme Noirs (RCA = 2,59; IC 95 % : 1,55-4,31) étaient plus susceptibles que ceux s’identifiant comme Blancs d’avoir exclusivement vapoté du cannabis au cours du mois précédent. Un constat similaire peut être émis par rapport au vapotage de liquides sans nicotine ou cannabis.

En conclusion, cette étude représentative de la population adulte des États-Unis montre un certain recoupement entre le vapotage de nicotine et de cannabis, quoique ce comportement n’apparaît pas également réparti dans la population en fonction de l’âge ou de l’ethnicité. Notons toutefois que le niveau d’éducation et le revenu annuel ne semblent pas constituer des facteurs prédictifs importants de la substance consommée par les vapoteurs, s’agisse-t-il de nicotine, du cannabis ou de liquide de vapotage ne contenant ni l’un ni l’autre.

L’étude comporte quelques limites méthodologiques à prendre en compte, les auteurs rappelant notamment qu’il est possible que le nombre de vapoteurs de cannabis exclusivement soit sous-estimé du fait que les participants à la première vague de l’étude PATH devaient être des vapoteurs de nicotine. Notons également que la fréquence et l’intensité du vapotage de cannabis n’ont pu être clairement établies, alors que ces informations auraient pu contribuer à nuancer les résultats obtenus. Finalement, il doit être considéré que seule la quatrième vague de l’étude PATH a été étudiée, ce qui signifie que les données analysées sont de nature transversale et non longitudinale. Ainsi, aucun lien de causalité ne peut être établi entre le comportement en matière de vapotage et les caractéristiques sociodémographiques des vapoteurs.

Mattingly DT, Patel A, Hirschtick JL, Fleischer NL. Sociodemographic differences in patterns of nicotine and cannabis vaping among US adults. Preventive Medicine Reports. 2022; 26:101 715.


Rédacteurs

Alfreda Krupoves, conseillère scientifique spécialisée
Benoit Lasnier, conseiller scientifique
Annie Montreuil, conseillère scientifique spécialisée
Équipe tabagisme
Direction du développement des individus et des communautés

Coordonnateur
Benoit Lasnier, conseiller scientifique
Direction du développement des individus et des communautés

Réviseur
Olivier Bellefleur, chef d’unité Produits et substances psychoactives
Direction du développement des individus et des communautés

Révision linguistique
Sophie Michel, agente administrative
Direction du développement des individus et des communautés

Ce document est disponible intégralement en format électronique (PDF) sur le site Web de l’Institut national de santé publique du Québec au : http://www.inspq.qc.ca.

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